Le Regard Libre N° 35 – Loris S. Musumeci
La Fondation Fellini pour le Cinéma œuvre depuis près de vingt ans au service du septième art et de sa mise en valeur au sein de la culture. Riche d’un immense patrimoine concernant le réalisateur italien Federico Fellini comme le cinéma en général, la Fondation organise des expositions dans le monde entier avec de prestigieux partenaires. En décembre dernier, elle a publié un ouvrage retraçant le parcours du cinéaste. Rencontre avec le président, Monsieur Stéphane Marti, qui nous présente les origines de la fondation, ses activités, sa mission et le nouveau livre Fellini et la Fondation Fellini.
Loris S. Musumeci: Quelle est l’origine de la Fondation Fellini?
Stéphane Marti: Plusieurs conditions, plusieurs personnes, plusieurs lieux qui se croisent. Telle est l’origine de la Fondation. Tout commence au Collège de Sion, correspondant de l’actuel Lycée-Collège des Creusets, où la tradition cinématographique tenait déjà une place importante par son ciné-club. Toutes les deux semaines, un film était projeté devant un public de quatre cents étudiants. Le professeur qui avait lancé cela, Monsieur Léonce Matthey, s’occupait par là même de la vidéothèque de l’établissement qu’il avait créée. Celle-ci avait atteint l’honorable quantité de cinq mille films en VHS. A mon tour, je commençai à enseigner au collège en 1987, exactement quatre ans après être allé à Rome et avoir eu la chance de rencontrer Federico Fellini en tournage d’E la nave va, ce qui fut une étape importante.
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Racontez-nous cet épisode.
Alors que les activités cinéma du collège suivaient leur cours, j’étais parti étudier les Lettres à l’Université de Fribourg. J’y fondai un journal. En préparation du premier numéro, mes amis et moi avions déjà obtenu une entrevue avec Eugène Ionesco. Il nous fallait cependant plus encore pour marquer le coup. Je suis alors parti à Rome pour trouver un moyen de rencontrer Fellini; ambition ridicule tant elle paraissait impossible. J’arrive à Cinecittà avec un ami photographe, le 16 mars 1983. Gentillesse épatante du service de presse. On m’annonce que je pourrai approcher le Maestro plus tard dans la journée, lorsqu’il présentera son film. Une fois sur le plateau, les journalistes de la RAI et moi-même avons pu poser des questions.
De votre rencontre avec Fellini jusqu’à la Fondation portant son nom, quelles furent les autres étapes à passer?
Dix ans plus tard, alors que j’enseignais au Lycée-Collège des Creusets, je siégeais aussi comme membre du Conseil de la culture de l’Etat du Valais. J’ai rencontré à cette occasion Monsieur Gérald Morin, qui fut l’assistant-réalisateur de Fellini. En 1998, épaté par la vidéothèque du collège, il donne une première partie documentaire de ses propres archives. A ce moment-là, nous créons l’Association Fellini. Celui qui deviendra notre archiviste, Monsieur Jolliat, et des étudiants travaillent à la mise en ordre de ces archives. En 2001, Monsieur Morin nous vend la deuxième partie de ses documents, contenant des milliers de photographies et de dessins entre autres, acquise avec l’aide de l’Etat du Valais et de la Loterie Romande. Fin de l’Association, début de la Fondation.
Depuis dix-sept ans, quelle évolution avez-vous connue?
Nous avons doublé la quantité de nos documents de type muséal: c’est-à-dire que nous en sommes à quatorze mille pièces, dont neuf mille sur Fellini. Par ce patrimoine, nous avons pu organiser une centaine d’événements locaux comme à l’international.
Quels types d’événements?
La Fondation Fellini suit quatre directions pour ses événements. La première, ce sont les expositions et les manifestations culturelles. Depuis 2011, elles ont lieu à l’international, en Suisse, mais aussi à la Maison du Diable de Sion, mise gracieusement à disposition de la Fondation par la Bourgeoisie de la ville. Parmi ce genre d’événements, nous avons notamment participé à l’organisation de «Fellini, la Grande Parade» en 2009, au Jeu de Paume à Paris, avec d’autres partenaires.
Un événement comme celui-là, pour l’exemple, que vous apporte-t-il?
Après Paris, l’exposition a fait le tour du monde. Sur les quatre cents documents montrés, deux cents venaient directement de Sion. Par ailleurs, l’Etat du Valais et la Ville de Sion y avaient été associés en tant que mécènes principaux. Ce fut encore l’opportunité de collaborer avec les Editions Gallimard pour le livre de l’exposition. La Fondation et le canton eurent tout à y gagner.
Avez-vous connu par votre Fondation d’autres événements d’une telle envergure?
Oui, absolument. Je repense à l’an 2003, lorsque Maurice Béjart décida de créer un ballet en première mondiale dans le cadre de notre exposition au Théâtre de Beaulieu à Lausanne. Nous étions effectivement allés rencontrer le chorégraphe, et il fut honoré de participer au projet, au nom même de la profonde amitié qu’il entretenait avec Federico Fellini. Le président de la République italienne, Monsieur Ciampi, et celui de la Confédération, Monsieur Couchepin, étaient au patronage.
Vous nous avez présenté la première direction empruntée par la Fondation dans son œuvre. Qu’en est-il de la deuxième?
Notre deuxième direction est celle de la formation. Nous ne voulons pas que présenter des documents, mais éduquer par notre patrimoine, les mettre réellement au service de l’apprentissage de l’art. Au collège des Creusets, nous avons mis en place l’Atelier du Regard, dispensant des cours de photographie et de cinéma. En outre, des étudiants de Lausanne et de Paris viennent réaliser chez nous des thèses de licence ou de doctorat. L’an dernier, une étudiante de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne a réalisé son travail de diplôme chez nous avec nos archives. Pour les plus jeunes, le Passeport Vacances organise des visites à la Maison du Diable durant l’été. Nous collaborons également avec l’Université populaire de la région. Les migrants sont aussi intégrés au projet avec un programme conjuguant cours de français et de photographie. Enfin, nous travaillons avec l’école de design à Singapour, ce qui a permis à l’artiste Ishu Patel, ancien collaborateur de Cartier-Bresson, de venir en Suisse donner des cours aux élèves du collège.
Les troisième et quatrième directions?
Avec les expositions et l’éducation, nous voulons pointer en plus sur les nouvelles technologies. Lorsqu’en 2011 nous lançâmes l’exposition «Otto e Mezzo», nous avions créé un catalogue interactif pour iPad, ce qui n’était encore pas très répandu à l’époque. A cette occasion, nous avions collaboré avec le journaliste international Gideon Bachmann, qui a eu en entretien tous les plus grands, tels que Chaplin ou Fellini justement. Dans le magazine, le visiteur était guidé à travers l’exposition par des entretiens entre Bachmann et Fellini, Cardinale, Milo et Mastroianni. Quant au dernier vecteur, c’est celui de l’économie. Nous voulons promouvoir l’économie locale à travers les retentissements qu’engendrent nos expositions. En 2012, par exemple, la princesse Caroline Murat a invité la Fondation à exposer dans son palais à Venise. Finalement, l’exposition a fait partie du programme officiel de la «Mostra del cinema» de Venise. Ce qui a donné lieu à une soirée de gala préparée avec le Département de l’Economie du Valais où personnalités politiques et industrielles ont pu se rencontrer.
Vous avez en plus promu l’économie au niveau suisse, n’est-ce pas?
Oui, en 2014, nous avons organisé une exposition pour le Comité économique et social européen, organe très important de l’Union Européenne qui se charge de rassembler toutes les chambres de commerce, les travailleurs et les syndicats. Là, j’ai eu l’opportunité de monter «Fellini Demiurgo e Saltimbanco». Au cœur de l’UE sont alors invitées des associations suisses comme Economie Suisse ou la Mission de la Suisse auprès de l’Union Européenne.
Revenons sur le nom même de votre fondation. En quoi le personnage de Fellini vous inspire-t-il encore aujourd’hui pour toutes vos activités?
Il me paraît important de rappeler que Fellini n’est pas que réalisateur. Il est un artiste complet, qui plus est visionnaire. Il a vu avant tout le monde ce qu’allait devenir la télévision moderne, qu’il a critiquée dans son film Ginger et Fred. Des Fellini, comme des Chaplin ont en fait un point de vue global sur le monde. L’œuvre du Maestro, s’élevant à vingt-trois films, forme une totalité. Vous y trouvez tout: l’éros, la vie, la mort, le temps, la vieillesse, l’histoire et le rêve. On dit d’ailleurs toujours que l’on comprend la première partie du XXe siècle avec Picasso, et la seconde partie avec Fellini. Prenons l’exemple de La Dolce Vita. Pourquoi tout le monde parle de ce chef-d’œuvre? Parce que c’est justement le premier film qui dresse le portrait de la nouvelle société européenne, avec son industrie, son consumérisme, sa jet set, les paparazzi et j’en passe. En même temps, c’est la période de l’angoisse atomique. Entre 1960 et 1962, on est dans la grande crise de la guerre froide. Et il y a le personnage de Steiner, un intellectuel allemand riche et populaire, qui un beau jour, à cause de l’angoisse de son temps, tue ses enfants et se suicide. Fellini dresse là un miroir historique. Au niveau de la technique du cinéma, il a fait de nombreuses inventions. En cela, il ne peut que nous inspirer dans notre travail au quotidien, qui prend son sens dans le nom de la Fondation.
Vous venez de sortir un ouvrage le 22 décembre dernier: de quoi s’agit-il?
Nous voulions marquer le coup de nos vingt ans d’activité. Par là, nous cherchons à rappeler l’ensemble de notre travail. Celui-ci est comparable à ce que fait un cuisinier, dont les clients mangent et partent. Sans livre de cuisine, le cuisinier ne voit plus ce qu’il a fabriqué. Ainsi, la Fondation Fellini a sorti son «livre de cuisine»: nous montrons ce que nous avons réalisé en mettant en valeur l’importance redonnée à maintes affiches, dessins, photographies, etc. Parallèlement, le livre Fellini et la Fondation Fellini rend un hommage à l’œuvre de Fellini. Enfin, il permet l’intervention d’une dizaine de partenaires internationaux qui montre l’impact de notre fondation dans le monde. Ricardo Joao Moderno, président de l’Académie de philosophie du Brésil, y a notamment écrit un article sur l’esthétique de Fellini. La directrice du Ludwig Museum de Koblenz, présidente de la Ludwig Fondation, intervient elle aussi, parce que nous avions exposé chez elle.
Très bien, les lecteurs se réjouiront de découvrir ce nouvel ouvrage. Merci pour le temps que vous nous avez consacré.
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Fondation Fellini pour le Cinéma