Le clip de la chanson Rock’n’roll attitude, de Johnny Hallyday, est maintenant signalé sur YouTube comme «pouvant choquer certains publics». En cause, les trois ou quatre nichons qu’on y aperçoit. Cela en dit long sur le puritanisme qui sévit actuellement en même temps qu’une pornographie toute-puissante. Il s’agit en réalité des deux faces d’une même pièce hypocrite. Et d’un moyen pour les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) de contrôler nos vies, quitte à faire passer nos plaisirs et nos libertés à la trappe – et à anesthésier nos désirs. Analyse.
Ah, la libération sexuelle! On croyait que la fin du monde ancien, patriarcal et puritain, laisserait place à des lendemains qui chantent, où les désirs seraient assouvis et où la frustration sexuelle appartiendrait au passé… La grosse blague! C’était sans compter que l’idéologie de la fin des frontières et de la fin des barrières propre à la gauche activiste de Mai 68 engendrerait une perte de repères. Replié sur lui-même, l’individu héritier de ce grand basculement allait bien vite ne plus savoir à qui ou à quoi se rattacher. La nation, la tradition, la littérature et même la famille n’étaient plus à disposition. Que lui restait-il pour justifier ses causes et ses actions? Les communautés. Et ainsi s’installèrent progressivement divers réflexes de la nouvelle gauche, prenant le nom de communautarisme, de néo-féminisme ou d’anti-racisme indigéniste.
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Le problème, ou disons l’ironie de l’histoire, est que la table rase du passé peut bien souvent mener aux mêmes excès qu’il s’agissait de combattre. Le communisme a servi d’exemple en la matière. Avant lui, la Révolution française avait débouché sur la Terreur. A un manichéisme peut succéder un autre, aussi louables puissent paraître les intentions des instigateurs du nouveau monde. L’histoire regorge de tels exemples. Notre époque n’en est pas épargnée. Il suffit d’observer la direction dans laquelle se dirige un certain anti-racisme ces derniers mois: brandie comme un étendard identitaire, la race revient sur le devant de la scène. Alors même que l’universalisme nous invitait à ne plus voir les individus selon leur origine mais selon l’humanité qu’ils partagent, l’indigénisme appelle les «Noirs» à s’affirmer comme tels – et comme victimes d’un système.
Une même analyse peut être menée à l’endroit du néo-féminisme, qui se nourrit de «réflexions sur le genre» et s’abreuve de théories voulant mettre fin à la «culture machiste» de nos sociétés. Entendons-nous: il est évident que les femmes ne doivent pas être discriminées, puisque tout être humain est égal en droit. Mais ce n’est pas comme ça que les mouvements à la mode se saisissent de la question. Il s’agit maintenant de penser en sociologues, quel que soit le sujet et le niveau de la discussion: n’existent que des «groupes sociaux» – bref, des communautés. Ajoutez à ce tableau réducteur une bonne vieille dialectique marxiste, et le terrain de combat est tout prêt: la «culture du viol» oppresse les femmes tout comme la «bourgeoisie» oppressait le prolétariat. Quant au genre humain et à sa complexité, on repassera.
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Un nouveau puritanisme
Rien d’étonnant, dès lors, que le mouvement de la libération sexuelle voulant porter un coup fatal au puritanisme excessif de l’ancienne société ait accouché d’un nouveau puritanisme. A force de voir du sexisme partout et de traquer ainsi la moindre représentation sexuelle de la femme, on en arrive à des aberrations qu’on ne pourrait qualifier autrement que de censure puritaine. L’idée qu’il faille protéger certains publics pouvant être choqués – jeunes, croyants, et j’en passe… – n’en est qu’un dérivé. Cet épisode signalé aujourd’hui par un ami a valeur d’exemple: le clip de la chanson Rock’n’roll attitude de Johnny Hallyday n’est désormais plus disponible sur YouTube. En cliquant sur le lien qui pointe vers la vidéo, on peut lire cette information de la plateforme appartenant à Google: «La communauté YouTube a jugé le contenu suivant inapproprié ou choquant pour certains publics.» En cause, des seins nus apparaissant quelques secondes dans le clip.
Tout est là: la «communauté» YouTube a jugé le contenu «inapproprié» pour «certains publics» – comprenons par là la communauté des d’jeun’s, et allez savoir quelles autres encore. Voir des seins nus serait donc choquant pour les jeunes générations. Avant, ne serait-ce qu’il y a une quinzaine d’années, il revenait à l’éducation – principalement parentale – de faire en sorte que la découverte de la sexualité par les gosses se fasse progressivement. Bien sûr, les enfants en ont toujours su un peu plus que ce qu’ils veulent bien avouer à leurs parents, ça fait partie de la vie. Ce qui est cocasse, c’est d’en arriver à une société où un simple clic permet à un gamin de n’importe quel âge d’accéder à de la pornographie en tous genres, notamment hardcore, et où la réponse des GAFA est de censurer sur leurs plateformes tout téton qui s’y présente. Cela revient à répondre à la débauche par la création de frustrations!
Bien entendu, les autres occurrences de ce genre d’absurdité abondent. Jean-Paul Brighelli, de Causeur.fr, remarque que les périodes de pandémie y seraient particulièrement propices. Voici quelques cas qui méritent d’être relevés:
Il est tout de même frappant que conjointement à la contagion en cours (qui n’est pas l’abomination dont les médias nous rebattent les oreilles, mais c’est une autre histoire) des initiatives bien étranges, dans un pays aussi libéré que le nôtre, témoignent d’une étroitesse d’esprit à proprement parler puritaine. Un décolleté trop plongeant dans un supermarché? Un vigile, outré dans sa croyance en la vertu des femmes, rembarre la jeune femme qui voulait faire ses courses. Des seins nus sur une plage? Des gendarmes verbalisent la dame, qui n’a pourtant commis aucune infraction. On a appris à cette occasion que nombre de communes avaient passé des décrets municipaux interdisant ces exhibitions obscènes — forcément obscènes.
A qui profite le crime?
Mais allons plus loin. S’agit-il vraiment d’épargner nos chères petites têtes blondes de ces poitrines que l’on ne saurait voir – mais qu’on sait désormais cacher? Pas si sûr que l’idéologie du moment soit la seule responsables de ces manœuvres des grandes multinationales. Si l’on se balade sur Youtube sans avoir de compte Google, on doit non seulement cliquer sur «Je comprends et je souhaite poursuivre» si l’on veut visionner ce clip, mais on doit créer un compte Google et indiquer son âge dans ses informations personnelles! Il est bien sûr facile comme bonjour de tricher dans la livraison de ces informations. L’intérêt direct de Google est donc simplement de récolter plus d’abonnés.
Aussi, ce n’est pas de l’anti-américanisme que de constater que ce puritanisme hypocrite est le fait des Etats-Unis. Une certaine influence d’outre-Atlantique pourrait bien expliquer en partie cette immersion du public sur le privé et ce culte des entreprises comme l’alpha et l’omega de l’existence. Les réglementations à tout-va des géants du Web, comme les règles peut-être trop strictes de la famille traditionnelle il y a soixante ans, sont en train de tuer la possibilité même d’une rock’n’roll attitude. Car l’arbitraire et la raideur, dans le cas qui nous occupe, ne sont pas présents dans les magnifiques images de Rock’n’roll attitude, à recommander pour l’éducation – ne fût-ce que musicale – de tous les enfants, mais dans les censeurs de ce contenu! C’est l’occasion idéale pour ces entreprises de créer des besoins, de les frustrer et de proposer des services payants pour les satisfaire. Sérieusement, la situation devient préoccupante.
Les libertés perdues
C’est pourquoi l’exemple de ce clip de Johnny Hallyday tourné dans les années quatre-vingt est particulièrement intéressant. Le rock a beau passer pour neuneu aux yeux des enfants des années 2000, il vante une oasis de légèreté bien plus prometteuse que le monde qui se dessine, fait de brutalité sexuelle sans nom à disposition de tous, mais de disparition de l’érotisme dans le patrimoine officiel. Les paroles de cette chanson écrite par Michel Berger, véritable hymne au non-conformisme, à la curiosité, à la découverte, à la jouissance, à la diversité des expériences ou encore à l’amour de la musique par-dessus tout, décrivent une attitude qui paraît ringarde actuellement, et pourtant tellement plus libre que ce que l’air du temps bien-pensant nous promet comme avenir:
«Tout me fait craquer
C’est encore d’la dernière pluie que je veux être né
La mort, j’lui fais des pieds de nez
L’amour, j’suis pas décidé, j’veux encore essayerMais toi, lutte pour écrire ton histoire
Lutte pour garder ta mémoire
Et pour garder en toi
Une rock’n’roll attitude
Ne reste pas chez toi avec tes certitudes
Rock’n’roll attitude
Si l’été est trop lourd, si l’hiver est trop rude
Lutte contre la vie que tu mènes
Lutte pour la musique que tu aimes
Et que tu gardes en toiRire, rire de toutes ces nuits qui passent
Qui nous déchirent et qui prennent la place
Encore chaude de nos désirs
Vivre tous les moments qu’on a rêvés de vivre
Que ça aime, que ça tienne, que ça casse
Respirer chaque minute qu’on respireRock’n’roll attitude
Le risque de l’amour passe par l’amour du risque
Rock’n’roll attitude
Seules les passions de cire sont gravées dans les disques
Lutte contre les mots faciles
Lutte contre la haine des imbéciles
Garde toujours en toi
Une rock’n’roll attitude»
Luttons donc contre les mots faciles. Militons contre les indignations ridicules. Et pour le retour des tétons! Avis à tous les amateurs: pour l’instant, le clip de Que je t’aime, laissant voir lui aussi quelques belles formes, est encore accessible sur Dailymotion. Mais un nouveau clip – dépourvu de femmes nues, donc politiquement correct – a été réalisé en 2019 suite à la sortie de l’album Johnny proposant certains de ses plus grands titres réarrangés par Yvan Cassar avec un orchestre symphonique. C’est le seul clip officiel de Que je t’aime que l’on trouve actuellement sur YouTube… Heureusement, Johnny Hallyday est tout aussi sensuel que les femmes présentes dans ses anciens clips. On l’aura bientôt oublié comme on aura bientôt oublié ce qu’est la suggestion: le rock’n’roll est basé sur une attitude continuellement sensuelle. Nul sexisme à l’horizon. Profitons-en tant qu’il est encore temps.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Image d’en-tête: © «Rock’n’roll attitude», Bernard Schmitt, 1985
Notice: lors du partage de cet article sur Facebook, il a fallu modifier l’image d’en-tête pour qu’on n’y voie plus de seins nus. Une fois la chose faite, nous avons voulu sponsoriser la publication, c’est-à-dire la mettre en avant sur le réseau social au moyen d’une dizaine de francs suisses, comme nous le faisons pour de nombreux articles afin de gagner en visibilité. Que n’avons-nous souri lorsque nous avons reçu un message de Facebook pour nous dire que la publicité était refusée au motif suivant:
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