Cette chronique a d’abord été publiée dans La cinquième saison N°7.
«Minuit approche et quelque chose de démoniaque attend dans le noir/Au clair de lune, tu aperçois quelque chose qui fait arrêter ton cœur de battre/Tu tentes de crier mais la terreur avale ton cri avant qu’il ne sorte/Tu ne peux presque plus bouger, l’horreur te regarde droit dans les yeux/Tu es paralysé.»
Michael Jackson, Thriller
Paroles de Rod Temperton
(Traduction approximative)
Ouvrir Folmagories, dérivé fou de fantasmagories, c’est ouvrir la porte du quotidien au merveilleux et ne craindre sur son seuil ni fantôme, ni sorcière, ni vouivre, ni feu follet ou plus largement quelconque apparition de son, de buée, de gaz et de lumière. Au fond, c’est accepter que la réalité, pour joindre les deux bouts, pour exister, pour fonctionner et pour remplir son rôle, doit nécessairement avoir recours à l’imaginaire comme moyen d’opposition, de lutte, d’effet contraire, comme le biceps ne fonctionne qu’avec le mouvement élastique du triceps, son antagoniste.
Dunia Miralles avec ces nouvelles rompt la routine aride métro boulot dodo. Pour elle, que le lecteur dorme éveillé ou alors que le lecteur éveille son sommeil est peut-être la même chose, elle renoue ainsi avec la littérature fantastique d’hier, de Poe, de Dumas père, de Maupassant ou encore d’Aymé, tout en manipulant ses personnages au milieu de décors actuels, allant de la Costa Blanca au canton de Neuchâtel, passant de l’éminente Méditerranée aux eaux fraîches et granuleuses du lac des Brenets.
Que la Vouivre à l’image du monde ait changé de peau, qu’elle soit pâle et mal au point, recouverte de gadoues, peu importe: «Il en est des vouivres comme de toutes les créatures fantasmagoriques. Leur apparence et leurs dons changent selon les circonstances.» Les apparitions fantastiques sont panachées selon la nouvelle. On y trouvera de l’esprit primitif qui castagne fort, comme le troll ou le vampire. On y trouvera du cadavre se retirant de la terre, vibrant et s’agitant, emporté par le vent gelé des cimetières, mais on y trouvera aussi du moins grandiloquent, du plus naturel, de l’apparition modeste et dominicale qui procure autant d’effet – la flamme d’une bougie surpassant parfois en beauté le feu de la Saint-Jean – comme c’est le cas, par exemple, d’une buse douée de parole et aux intentions chrétiennes qui évitera à un personnage suicidaire le saut de l’ange pour l’inviter finalement à sauter à l’intérieur de lui-même.
L’apparition limitée de créatures fantastiques apaisera le lecteur, calmera son angoisse, comme le plat temporaire d’une montagne russe hallucinée. Car il faut de temps en temps démêler l’écheveau de l’intrigue afin que le cœur ne lâche pas et que l’envie de lire cesse. Cependant, pour éviter de fermer le livre, pour empêcher la rupture, Dunia Miralles a un tour dans son sac, celui de la sensualité. Là où les apparitions fantastiques répétées ne saouleraient pas tout le monde, la sensualité oui. Plutôt des moments de sensualité, infusés dans l’intrigue, qui persuadent le lecteur de tendre son cou pour y subir une morsure ou de tendre l’oreille pour y sentir un frisson:
«L’enchanteresse s’étendit sur le lit auprès de moi. Protectrice, elle posa sa main sur mon sein. Ses ailes d’une douceur ouatée, qu’aucune déchirure n’ajourait, me couvrirent avec délicatesse. Le frottement de sa chevelure sur mes draps émit un sensuel bruit de soie froissée. Enroulant lascivement sa queue autour de mes cuisses, elle approcha sa bouche de mon conduit auditif. Si près qu’en l’effleurant son sourire me procura un agréable frisson.»
Derrière ses nouvelles immersives et son travail acrobatique sur la narration, Dunia Miralles est à cheval sur ses chimères, elle ose aborder les brumes et franchir l’atmosphère calme des cimetières. Le rappel de vaccin au genre fantastique d’hier est fait. Et si le lecteur a le poil hérissé, il sera caressé ensuite dans le bon sens, sensuellement et brillamment. D’ailleurs l’étreinte de l’homme n’est pas si différente de l’étreinte d’une créature fantastique, il y a toujours frottement. Avec ces décors, on aimerait que l’aventure perdure. Que la trame soit plus longue, qu’au lieu de nouvelles courtes, il y ait un roman opulent, avec des hauts et des bas, du contraste et de l’unité, de la chute et du chemin à suivre, du chemin noir sur lequel se perdre pour pousser encore plus haut et plus loin des cris d’orfraie.
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