Les bouquins du mardi – Amélie Wauthier
Il y a deux ans, j’envoyais ma toute première critique pour Le Regard Libre. J’avais été touchée par l’hommage bouleversant d’un petit-fils à sa mémé de nonante-cinq ans, contrainte de rejoindre un Ehpad assez déplorable. Depuis, les lectures et les chroniques se sont enchaînées sans que je n’aie eu le temps de les compter. Et voilà qu’aujourd’hui j’écris mon dernier papier pour les bouquins du mardi.
J’avais envie, pour l’occasion, de marquer le coup. De découvrir et partager avec vous l’Œuvre absolue qui ferait tressaillir et vibrer nos cœurs. La quête du Graal, en somme, à jamais déçue. Jusqu’à ce samedi où ma boîte aux lettres ne fermait plus très bien. Parmi les factures et recommandés sciemment ignorés, il se tenait là où un ami, qui me connaît bien, l’avait déposé la veille ou le matin même. Cent-nonante pages d’un récit qui s’avèrerait intense, authentique et passionnant.
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Ce qui m’a marquée en premier, étonnamment, c’est le poids de l’ouvrage. Cent-nonante pages pour un roman graphique, vous pensez bien, ça représente une certaine masse de papier. Intriguée, je me suis alors empressée d’ouvrir n’importe quelle page, au hasard, afin d’en découdre avec le style des illustrations auquel j’allais être confrontée. Je suis intraitable, j’ai horreur de ces graphistes dont le travail informatisé ne rend que très (très) rarement la chaleur et le velouté d’une image papier.
Et bim, dans les dents! Les personnages, les courbes et tracés de la page cent-trente-huit me coupent instantanément le souffle. Incrédule, je tourne frénétiquement les pages et en prends, au passage, plein les mirettes. Des dessins de Léonie Bischoff émanent beaucoup de délicatesse, de grâce et de force. Les expressions des personnages sont justes et impeccables, l’artiste leur donne vie dans un style épuré et parfaitement exact. Tout ce que j’adore! Comment se fait-il que je la découvre que maintenant?!
Je décide alors de procéder comme il se doit et d’entamer cet ouvrage par le début. Je reviens à cette couverture que je peux désormais pleinement apprécier sans craindre d’être déçue. Celle que je devine être Anaïs Nin presse fièrement un livre contre sa poitrine tandis qu’une vague bleue la submerge jusqu’aux hanches, laissant apercevoir un alter égo moins sage, plus sauvage, dans son reflet. Le sous-titre, «sous la mer des mensonges», finit d’attiser ma curiosité et c’est le cœur plein d’envie et d’espoir que j’attaque ce nouveau roman.
Rapidement, le récit prend vie et je suis confortée dans l’idée que je risque fort de l’apprécier. Je découvre Anaïs, jeune artiste aux origines multiples, ainsi que son banquier de mari, Hugo. Tous deux ont d’emblée l’air terriblement attachants. L’histoire se déroule dans la première partie du XXe siècle, à une époque où la religion et la morale occupent une place importante. Cela n’empêche toutefois pas notre héroïne de s’affranchir des codes et de l’éducation qu’elle a reçue. Depuis qu’elle est petite, Anaïs tient un journal intime. Elle y consigne sa vie, ses doutes et ses tourments qui font d’elle une femme complexe, pleine de contradictions et de secrets.
C’est le récit d’une artiste sensible et passionnée, désireuse de suivre ses pulsions, ses envies et de laisser pleinement s’épanouir la femme qu’elle est dans une société où elle est si souvent dévalorisée, dominée. C’est également l’histoire d’une quête, celle d’un absolu plus fort et vivant que la vie elle-même. Par-dessus tout, ce sont les chroniques d’une amoureuse qui étouffe dans la vie qu’il lui est permis de vivre et qui ne cessera de lutter, de la culpabilité à la prise de pouvoir. Et si cela était finalement juste et naturel?
Ecrire à l’auteure: amelie.wauthier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Amélie Wauthier pour Le Regard Libre
Léonie Bischoff
Anaïs Nin sur la mer des mensonges
Casterman
2020
192 pages