Au moyen d’une écriture poétique, impulsive et prévertienne, Dunia Miralles signe Le baiser d’Anubia, un livre intimiste sur les troubles de la personnalité, transformant son histoire individuelle en une histoire universelle.
Carl Jung écrivait: «La dépression est comme une femme vêtue de noir. Si elle arrive, ne l’expulsez pas: invitez-la à la table.» On pourrait ajouter à cette citation, pour mieux coller au dernier livre de Dunia Miralles: «Mangez ensemble en tête à tête, avant qu’elle parte, embrassez-la comme un membre de votre famille.» Car tout comme on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas d’être atteint par un trouble de la personnalité, de subir l’épreuve des montagnes russes de la dépression, ou encore de broyer du noir. Par contre, et c’est là où Le baiser d’Anubia réussit un tour de force, on peut toujours empêcher que le noir nous broie en apprenant à vivre avec, en cela qu’il redonne aussi espoir.
Les fragments d’une vie
Couchant sur papier les fragments de sa vie quotidienne, Dunia Miralles nous invite autant dans sa tête que dans son cœur. Elle remet en question son quotidien et, par extension, celui des autres. Elle se confie, aborde la maladie de sa mère, s’interroge sur le découpage des jours qui passent, écrit son dernier rendez-vous chez l’opticien, son amour pour Maupassant et les fleurs. Mais en relief, ce qui ressort le plus, ce sont ses rendez-vous calamiteux avec le psy, ou plutôt les psys, son rapport aux médocs qui bousillent le corps et l’esprit, et sa relation éprise avec Orlando, qui vient colorer le livre en y apportant de l’amour, de la passion, du désir.
«Orlando
qui m’aime
quand toute
à lui
je suis.
Orlando
qui m’aime tant
qu’avec le temps
toute à lui
devenue
je suis.»
Au fur et à mesure des pages, plusieurs figures artistiques ponctuent la lecture. Figés sur le papier, il y en a de toutes sortes. Ces artistes sont musiciens, écrivains, réalisateurs, acteurs, chanteurs, metteurs en scène… Ils possèdent tous un point commun avec la narratrice, celui d’avoir un trouble. Comme elle, ils sont borderlines. D’autres sont dépressifs, schizophrènes, psychopathes, bipolaires… Bref, ils sont souffrants et par leur fissure, Dunia Miralles s’identifie à eux. Pour elle, une certitude émerge de son constat à leur sujet, ce sont eux qui changent le monde, en bien comme en mal. Ainsi leurs transactions du rêve avec la réalité viendraient de leur souffrance. Leurs œuvres n’en seraient qu’une conséquence.
«Féministe,
défenseur
de la cause LGBT
Kurt Cobain,
souffre
de maux d’estomac
qui le poussent
vers l’héroïne.
Diagnostiqué
maniacodépressif
avec un trouble de l’attention
hyperactif.
Sa mort
me plonge
dans une tristesse
infinie,
toujours pas
finie.»
Le singulier devient pluriel
Pourquoi Anubia? Parce que le premier effort pour Dunia Miralles, afin de vivre avec son trouble dont elle ne connaît pas la définition, au début du livre, a déjà été de le nommer. Elle s’inspire du maître des nécropoles et des embaumeurs, à la gueule de chien, le dieu Anubis. Il se transforme pour elle en déesse, Anubia. Il lui faudra attendre plusieurs mois pour que le verdict tombe, et qu’elle puisse enfin connaître ce qui la ronge, afin de se guérir ensuite. L’expert lui certifie que, en plus de la dépression chronique, elle possède un trouble de la personnalité limite et un trouble de la personnalité borderline. Selon les statistiques citées à la fin de l’ouvrage, 78% des personnes qui subissent un trouble de la personnalité borderline font une tentative de suicide au cours de leur vie. C’est le trouble qui tue le plus par suicide. Avec discernement, Dunia Miralles apprend à vivre avec, dépassant l’épreuve, et socialiser semble moins compliqué, tout comme la difficulté de se confronter à une certaine norme.
Poétique, violente, prévertienne par moments, l’écriture de Dunia Miralles ne cherche pas à choquer ou à surprendre. Elle se contente de dire. Uniquement de dire. Avec justesse, elle raconte un quotidien, le sien. Son histoire se suffit à elle-même, son allure est son allure, coulant comme une rivière cachée qui ne demande rien à personne. Si l’envie vous prend de vous y baigner, tant mieux, sinon, tant pis. Passez votre chemin. Le baiser d’Anubia n’a pas été écrit pour se faire lire.
A cheval entre la poésie, le journal et le récit, les mots, revenant sans cesse à la ligne comme un inventaire, déchiffrent une vie particulière qui parle finalement de tout le monde et à tout le monde. Le singulier devient pluriel. La vie de quelqu’un d’autre écrite sur un petit carnet dormant dans un tiroir se transforme en rencontre, contredisant Sartre. Il semblerait que l’enfer, ce ne soit plus les autres. Les autres ont toujours quelque chose de léger et d’enchanteur, comme hérité du paradis. Parce que même s’ils sont tourmentés, ils nous éloignent de la solitude, mieux encore, ils nous confirment que toute solitude peut, par leur fissure à combler, finir par disparaître.
«A la radio feu Johnny.
J’augmente le volume.
Orlando et moi hurlons les paroles avec Jojo.
Ténor.
Alto.
Pour nous dire “je t’aime”.
Qu’on s’aime.
On rit.
On rit.
Je redeviens sérieuse.
“Je suis folle et tu m’aimes?”
“Je t’aime avec ta folie. C’est comme ça que je t’aime. Un diagnostic ne changera pas ce que tu es. Je t’aime comme tu es pour ce que tu es.”
Que je t’aime.
Que je l’aime.
Il m’aime.»
Ecrire à l’auteur: arthur.billerey@leregardlibre.com
Dunia Miralles
Le baiser d’Anubia
Torticolis et Frères
2022
274 pages