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La guerre d’Espagne face aux générations5 minutes de lecture

par Diana-Alice Ramsauer
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Les bouquins du mardi  Diana-Alice Ramsauer

Des livres comme ça, il en faudrait plus. Pas une page de trop. Des niveaux de lectures multiples. Une narration fine et originale. Des descriptions que l’on souhaiterait taguées sur nos murs. De l’enthousiasme révolutionnaire. De la folie. Et un propos. Et pourtant ils existent de Thierry Froger réussit à raconter, en même temps, l’histoire de l’assassin de Jean Jaurès, la guerre d’Espagne et les méandres de l’héritage culturel sans raccourcis.

Les histoires, la chronologie et ce que l’auteur préfère appeler des «figures» sont présentées en vraie ratatouille. Rien ne se suit. Une multitude de personnages prennent la parole, les uns après les autres, sans rien respecter si ce n’est peut-être la règle de: «un chapitre, un point de vue». On passe de la France de 1920 à l’Espagne du XXIe siècle. De l’enterrement de Jean Jaurès au front d’Aragon. L’anarchie à l’état (l’Etat?) pur. Et ça fonctionne.

Thierry Froger lie tous ces éléments pour en faire une lecture agréable, limpide et stimulante. Presque incroyable.

Ils ont tué Jaurès

A la manière du film Babel (racontant quatre histoires différentes qui finissent par se rejoindre), l’auteur français fait intervenir, lui, une trentaine de figures réparties sur une centaine d’années pour raconter ce que l’on pourrait séparer en trois grandes catégories: le meurtrier de Jean Jaurès, la guerre d’Espagne et la mémoire générationnelle.

Commençons donc par la vie de Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès, acquitté le 20 mars 1919 par une justice en plein réveil nationaliste. Le tueur lui-même ne prend jamais la parole dans le récit. Il est raconté par Paul René Gauguin (de la famille du peintre), sa voisine d’un temps ou encore le gardien de prison qui le surveille en attendant son jugement.

Léon Blum intervient, lui, pour rendre hommage à son ami socialiste mort, de même que le militant Ernest Poisson et sa femme, tous deux présents lors du jour funèbre au Café du Croissant à Paris. Qui ne connaît pas les recoins de cette histoire se verra éclairé.

«Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise? C’est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement, célèbrent la guerre, mais la redoutent individuellement.»

Ce héros absent

Mais le roman de Thierry Froger est surtout celui de la guerre d’Espagne. Une lutte antifranquiste portée par la figure de Florentin Bordes, un anarchiste qui court toutes les rebellions européennes. La camaraderie, le combat pour un idéal, la désillusion face à l’emprise communiste russe dans le conflit civil, le rôle des hommes, mais aussi des femmes, dans cette guerre. Des thèmes brassés pour raconter cet entre-deux-guerres décisif.

A lire aussi | Pablo l’auteur rencontre et raconte Pablo l’anarchiste

Le souvenir de la lutte espagnole de Florentin Bordes traverse les âges. Car Et pourtant ils existent est aussi l’histoire d’un passage de témoin entre les générations. Le récit coule par-dessus ses filles, peu intéressées par le destin de ce père souvent absent, car occupé à sauver le monde… L’une d’elles (Yvonne) se révèle même en totale opposition à cette figure du héros (faussement) modeste.

«Quand elle osait évoquer tante Yvonne avec le grand-père Florentin, il répondait invariablement qu’on ne parlait pas des gaullistes nie de leurs braves épouses dans sa maison.»

Les souvenirs, de vraies pièces de convictions

Au contraire, Ariane, la petite-fille de Florentin et figure centrale du récit, devient la porte-étendard du drapeau de la révolution. Passionnée et foutraque, elle va jusqu’à développer une idée fixe pour la guerre d’Espagne et s’engage de manière radicale, par mémoire pour cet aïeul. Pour finir, Rose, l’arrière-petite-fille grandit au milieu des souvenirs, en même temps fascinée et nourrie de ces récits… jusqu’à la nausée. Les personnages se succèdent pour illuminer les vécus de chacun.

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«Dans la famille des Bordes et des Pierre, l’engagement politique a toujours été la manière de savoir qui nous étions. Mon arrière-grand-père maternel, Florentin Bordes, fut un militant anarchiste milicien de la guerre d’Espagne, résistant et libertaire. C’est le héros de la famille auquel on ne peut pas toucher. Sa petite-fille, ma mère Ariane, a contribué à entretenir sa légende. Elle fut la passeuse infatigable de sa chanson de geste, quitte à laisser dans l’ombre ce qui ne pouvait se vérifier.»

L’histoire romantisée de la guerre civile de 1936 racontée de génération en génération se mêle alors de nuances. Qu’est-il réellement arrivé dans cette grande cuisine historique? Thierry Froger, Rose Pierre Bordes et même nous commençons à douter. La complexité comme synonyme de beauté.

Ecrire à l’auteure: diana-alice.ramsauer@leregardlibre.com

Crédit Photo: © Mikhail Koltsov/Wikimedia Commons

Thierry Froger
Et pourtant ils existent
Actes Sud
2021
329 pages

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