Les bouquins du mardi – Jonas Follonier
Orgie de mots, allusions sexuelles à tout-va et carnaval de sons, de couleurs et de formes: il faut s’accrocher à la lecture du nouveau roman de Max Lobe. La Promesse de Sa Phall’Excellence, qui vient de paraître aux Editions Zoé, est un carnaval infernal. Mais derrière ce charivari, une dénonciation tonitruante du totalitarisme s’allie à une jouissance de la langue et des corps. Une fois n’est pas coutume, je propose de vous faire découvrir ce monde en compagnie de Max Lobe lui-même.
Le nouveau roman de Max Lobe est un danger pour la santé. On en ressort épuisé, comme après une heure de discussion dans une langue où l’on ne comprend qu’un mot sur deux. C’est qu’avec La Promesse de Sa Phall’Excellence, l’auteur genevois d’origine camerounaise a fait une sorte de pari rabelaisien: offrir un festin foutraque à ses lecteurs, dans un langage nouveau. La référence est saillante. D’ailleurs, à peine le livre ouvert que celle-ci est déjà annoncée par l’auteur: «Je discutais avec Rabelais… il me demande de te saluer»: en lisant cette aimable dédicace, je n’ai eu qu’une envie, aller discuter, à mon tour, avec Rabelais, l’auteur de Pantagruel et de Gargantua.
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En m’ouvrant la porte de son appartement, Max Lobe est tout sourire; il faut dire qu’il aime parler de ses romans – et qu’il aime parler tout court. Un peu comme son narrateur, à la fois causeur et gloseur, qui avertit les lecteurs dès la première phrase du roman: «Si vous n’êtes pas d’accord avec la langue que je vais utiliser pour dire cette histoire, alors rejoignez-moi seulement ici à Elobi, à la terrasse du bar de Uncle Godblessyou». Me voilà donc au bon endroit, un verre en main, pour parler avec Max Lobe de sa jolie folie.
Je dois d’abord lui dire la vérité: je ne suis pas sûr d’avoir compris son nouveau livre. Je le rassure. Le roman m’a plu dans sa démesure et, même si je suis peut-être passé à côté, j’y ai trouvé des significations que j’ai encore plus appréciées. Son texte n’est point du charabia ni du gloubi-boulga. Je l’ai plutôt lu comme une orgie littéraire qui s’assume comme telle et qui regorge de symboles. Par exemple, considérer le narrateur de La Promesse de Sa Phall’Excellence comme un obsédé sexuel serait faux – ou disons, incomplet. La présence d’images tendancieuses dans un mot sur dix («sa Phall’Excellence» «sa Clith’Alttesse», «clitharicot», «nom d’un phallanus!»…), peut être une bonne manière de rire de l’écriture inclusive, où les genres (féminin et masculin) deviennent omniprésents.
«Les merles, les rossignols, les grives, des hibous-hibous là-là tiennent mon nom au bout de leurs becs. Ils caquètent que Oooh! je suis sexiste-sexuce, que Oooh! je suis misogyne-misogouine. Que je suis qu’un pauvre’ “Ah mes chers frèèères”. Un sans-phallancouille! Or, moi Mista AcaDa-Writa, raconteur d’histoires, j’ai bien mes phallancouilles en place, la grosse-droite comme la p’tite-gauche. Et je suis pas pour autant un phallomacho. Du-tout-du-tout. Et même si je l’étais? Où que ça vous gratterait, hein? Là? Au niveau du phallanus? Ou plutôt en bas, là-bas, au niveau du clitharicot?
[…]
J’ai pas peur de Tata Pélagie, ni même de ces machins-trucs-chattes d’Ecriture inclusive de sa mère-con. Du-tout-du-tout. Faut pas confondre les choses. Se taire ne signifie pas avoir peur.»
Lancé sur ce sujet, Max Lobe développe son point de vue. «C’est en effet une interprétation possible. Je joue avec le langage et son instrumentalisation à des fins politiques. La langue ne fait pas la politique, elle ne reste qu’une instrumentalisation. Si quelqu’un dit ‘‘chers Suisses, chères Suissesses’’, il peut ne pas le penser.» L’instrumentalisation de la langue par des idéologues à tendance totalitaire est également un sujet présent, en arrière-fond, dans son roman. On y suit une population résiliente, celle de la «république de Crevetterie», qui gobe tout ce qu’on lui raconte et qui attend le Grand Jour où apparaîtront «Sa Phall’Excellence» et «Sa Clith’altesse». Le propos est actuel. «Et pas seulement en Afrique», me glisse l’auteur.
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«Ce qui m’intéresse le plus, c’est la prise de parole», poursuit le romancier. «Tous les personnages prennent la parole à un moment donné en disant des choses qui se complètent, se contredisent, s’entrechoquent.» Face à eux, un régime vieillissant, avec un dictateur présenté comme un bébé dans une poussette. Les mots par lesquels les personnages s’expriment sont toujours les mêmes, les rues et les carrefours ont des noms très similaires, la narration elle-même n’en devient qu’un gigantesque et somptueux psittacisme. Et si au début le narrateur est le seul à douter, c’est le lecteur lui-même qui commence peu à peu à douter de la crédibilité de ce dernier, un alcoolique raconteur d’histoires.
A la lecture de cet ouvrage, on pense notamment à Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud dans cette façon géniale de dédoubler l’illégitimité jusque dans ce qui nous est raconté. Mais c’est au fond la littérature en général qui s’y prête à merveille. C’est le filon que Max Lobe a trouvé pour exprimer son éloge non seulement du doute, mais de l’émancipation. «Le doute, c’est la liberté pure. C’est aussi la pensée: c’est pour cela que je parle tant du cheveu naturel de mes personnages, il s’agit en quelque sorte de leur pensée. Si je mets une perruque, ce n’est pas ma pensée, c’est une pensée qui vient d’ailleurs.»
Or, pas besoin de bien connaître le continent africain qui a tant inspiré ce roman pour l’apprécier. Il suffit d’un peu de curiosité. Et, pourquoi pas, d’un peu de folie. Car si l’on parle beaucoup de celle des grands auteurs, et notamment de Lobe, il ne faut pas oublier cette petite folie en nous, qui nous permet d’accéder non seulement à de l’inédit, à du spectacle, mais encore à ce qui dormait en nous-mêmes. La Promesse de Sa Phall’Excellence est une lecture dont l’urgence n’est pas forcément sanitaire, mais salutaire. On ne va donc pas cracher dessus!
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Niels Ackermann / Lundi13
Max Lobe
La Promesse de Sa Phall’Excellence
Editions Zoé
2021
144 pages