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Projection du «Ciné-roman» de Roger Grenier4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les bouquins du mardi – La rétrospective de la littérature – Loris S. Musumeci

Une trouvaille de bouquin. Sans connaître l’auteur, sans avoir jamais entendu parler de ce titre, Ciné-roman, composé de deux choses que j’aime le plus, le «ciné» et le «roman», n’a pas pu me laisser indifférent. Pour cent sous, je l’ai acheté, et je n’ai pas été déçou

L’ouvrage pas très connu d’un écrivain un peu oublié avait pourtant remporté le prix Fémina en 1972. L’auteur Roger Grenier a consacré une vie à la littérature jusqu’en 2017, lorsqu’il est mort à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans. Une vie pour la littérature, mais toujours dans l’ombre. Et pourtant, quelle carrière! Il commence en tant que journaliste à Combat, avec un certain Albert Camus. Il entre en Résistance. Pour entamer ensuite un parcours de journaliste, écrivain et essayiste. Mais surtout d’éditeur chez Gallimard, où il permet notamment à deux pointures de la littérature contemporaine de percer: Sylvie Germain (auteure entre autres livres du sublime Magnus) et Daniel Pennac qu’on ne présente plus.

Un parfum de nostalgie

Avec Ciné-roman, pas de grande littérature. Pas de révolution littéraire de la part d’un Grenier qui écrit ce qui lui plaît pour se faire plaisir – on le sent bien à la lecture. Pas de style qui berce le lecteur par sa poésie, pas de style qui fascine le lecteur par son élégance. Ciné-roman est léger et simple. C’est un divertissement, au même titre qu’un film qui passe dans la salle d’un feu cinéma de quartier. Un film qu’on voit une fois, qui nous amuse, à la rigueur nous émeut un peu, et puis qu’on oublie doucement, simplement. Ce qui n’empêche pas à ce roman de parfumer d’une nostalgie touchante et très personnelle.

Au-delà de la lecture légère et nostalgique, le charme du roman réside dans son rapport charnel et énamouré au cinéma et à son monde. Monsieur La Flèche, hyperactif vieillissant, décide d’ouvrir en banlieue, au même endroit, un cinéma et un dancing. Constatant que si le dancing rencontre un succès assez phénoménal, ce n’est pas vraiment le cas de la salle du cinéma au nom à la fois ringard mais magique, Le Magic Palace. Le public préfère les cinémas en ville tenus par de gros exploitants. Plus de films américains, plus de rêves, plus de sensations, mais surtout des films que l’on peut voir sans avoir à attendre trois semaines, le temps que leur prix baisse pour les petites salles.

Une histoire d’amour et de cinéma

La famille Laurent, de la petite bourgeoisie entrepreneuse et entreprenante, rachète le cinéma dans une affaire avec La Flèche qui peut être qualifiée très clairement d’arnaque. Quand les nouveaux propriétaires se rendent compte que la salle peine à attirer les foules, ils se donnent corps et âme pour sauver Le Magic Palace. Et surtout François, leur fils de quinze ans, qui en plus de tomber amoureux du lieu, tombe amoureux du cinéma. Et tombe amoureux tout court.

«Il lutta pour reprendre les clés. Elle les serrait contre sa poitrine, avec un drôle de sourire, et il eut ainsi la main sur ses seins. Bientôt ils s’embrassèrent. Elle embrassait bien, avec la langue. Le Magic Palace changeait encore d’aspect. Aux yeux de l’adolescent, il avait été d’abord le temple du cinéma, ensuite un terrain d’exploration, et maintenant, immense et désert, mais familier, une cachette romanesque pour ses premières amours.»

Nostalgique, doux et attachant, Ciné-roman n’est qu’un roman sur le cinéma, à travers l’expérience d’un adolescent de quinze ans, qui ressemble d’ailleurs beaucoup à son auteur. La lecture devient alors une projection, lors de laquelle on plonge dans l’obscurité d’une salle; on plonge dans une époque, celle des cinéma de quartier, chantée avec tout autant de nostalgie, de douceur et d’attachement par Eddy Mitchell dans La dernière séance (1977). Et comme le disait Paul Morelle dans les colonnes du Monde lors de la sortie du roman: «Roger Grenier est le projectionniste du petit monde qu’il a filmé en réduction au cours des ans, avec la caméra invisible des sens et du cœur.»

«La dernière séance» d’Eddy Mitchell.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Roger Grenier
Ciné-Roman
Editions Gallimard
1972
288 pages

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