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Un génie «dé-robé» par Loïc Prigent6 minutes de lecture

par Anaïs Sierro
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Les bouquins du mardi – Anaïs Sierro

A l’heure où les défilés de mode sont mis à mal par les mesures sanitaires, je vous propose d’y plonger votre imagination. Mettez-vous dans la peau d’un invité de marque au premier rang d’un catwalk mondain d’une grande maison de couture française ou milanaise. Découvrez-y l’élégance soyeuse d’une robe sur mesure ou d’un trois-pièce design, les saveurs des petits-fours d’un traiteur réputé ou encore la délicate caresse d’une gorgée bullée de champagne hors de prix. Mais surtout, tendez l’oreille aux babillements alentours, aux jacassements anoblis et aux piaillements m’as-tu-vu?. C’est ce goût-ci que le célèbre journaliste de mode français, Loïc Prigent, a décidé de nous servir sur toast caviar et rondelles d’œufs véganes acérés.

«Un recueil de citations prises à la volée autour des parterres de mode», voici la formule de Loïc Prigent et ce pour un deuxième volume «Passe-moi le champagne, j’ai un chat dans la gorge». L’objet attire, le titre aussi. Mais une question s’est posée: «Vais-je vraiment acheter un recueil de citations?». Car, il faut se le dire, Prigent nous impose ici un grand coup marketing.

 «A chaque fois que je suis avec elle je sens que quelque chose d’excitant se passe, mais ailleurs.»

 «Comme je revends mes fringues j’ai moins l’impression d’être dingue parce que je ne suis pas tous les matins devant les 1 250 sacs que j’ai achetés depuis dix ans.»

«En fait il est sympa, il faut juste aller au-delà de son Instagram.»

Mais, la promesse était trop belle pour ne pas repartir avec l’objet. Et si je le nomme ainsi, c’est que son apparence en fait un objet marketing en soi. J’énonce. Couverture miroir argentée qui réfléchit le moindre faisceau lumineux de la librairie, comme si tout était pensé pour capter notre attention. Puis, une étiquette collée sur le dessus comme le stickerpromotionnel que l’on colle hâtivement sur le miroir des toilettes en soirée un peu éméchés. Et enfin, sur celle-ci, le titre digne d’une une à scandale rédigé en une police linéale très grasse avec le nom de «l’auteur» -ou, plus à propos, du «marketeur »… choc!

Déjà, rien qu’avec ces éléments, nous sommes réduits à de simples consommateurs manipulés par une multitude de procédés créant une identité visuelle forte. Mais si, en plus de cela, nous avons le malheur d’ouvrir le livre et lire au hasard l’une des citations reportées, nous sommes faits comme des rats sous les griffes d’une comm’ parfaite. Je dirais même mieux: d’un génie!

«Les gens de la mode n’aiment que ce qu’ils ne comprennent pas. Alors il suffit de faire un truc incompréhensible et ils adorent.»

«Heureusement qu’il a ses lunettes pour lui donner de la personnalité.»

«J’ai besoin d’une année sabbatique d’une semaine.»

Mais le génie de s’arrête pas là. L’idée d’un recueil de citations posées les unes en dessous des autres, avec un double espace les séparant, permet une indépendance totale entre ces dernières et, surtout, une neutralité folle. Parce que même si Prigent nous signe un jouissif avant-propos où sont mêlés une plume journalistique maîtrisée, du sarcasme et de l’attachement envers ses «collègues avec un bon sens hors du commun»et un amour pour la mode, ce recueil n’en demeure pas moins exempt d’avis, de commentaires, de tons.

Nous en devenons ainsi les lecteurs-acteurs. Ce sont nos avis à propos du milieu de la mode ou de chacune de ces citations qui leur donne le ton. Si on le décide, ce livre peut être sarcastique, ou hilarant, ou encore alléchant si l’on rêve de pouvoir vivre dans un tel monde. En bref, nous nous retrouvons à rire à la lecture d’une citation, à pleurer de honte face à une autre, ou encore à crier au génie de la rhétorique face à une troisième. Mais l’émotion qui surpasse toutes les autres, c’est ce vilain plaisir à s’immiscer dans un milieu qui ne nous est, pour la plupart d’entre nous, pas familier. Celui d’être voyeur d’une centaine d’existences et, surtout, d’appartenir ne serait-ce qu’un instant à ce monde de luxe et paillettes. Mais en pensant «Oh, non, mais moi je serais bien au-dessus de ça»… Allez savoir!

«Le nouveau truc c’est vraiment la sincérité. Moi j’adore et je suis en train de changer complètement ma façon de communiquer.»

«Ma boss m’a demandé un moodboard charités parce qu’elle veut se lancer dans le caritatif.»

«- Je suis en congé maladie.
– Mais pourquoi?
– Je me suis blessée en ouvrant une bouteille de champagne au boulot.»

Loïc Prigent nous offre donc ici une expérience de génie: une appropriation d’un contenu «étranger», vendu au sein d’un objet marketing. Du journalisme littéraire? Relater des faits – cette fois-ci dans leur plus grande authenticité. Tellement, d’ailleurs, qu’ils en deviennent neutres et libres pour l’interprétation des lecteurs. Du génie un peu coupable d’ailleurs, que l’on lit avec délectation, que l’on achète timidement et que l’on loue avec amertume. Car, soyons honnêtes, c’est un peu malhonnête…

Et puisque l’on a été nourris à l’attitude «fashionista de luxe», disons pour finir que le génie de Prigent ici est «une proposition néo-journalistique et littéraire fusion où se marient le journalisme et la satire dans un camaïeu de champagne éclaté au caviar élevé sous label vegano-éco-responsable.»

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Loïc Prigent
«Passe-moi le champagne, j’ai un chat dans la gorge»
Editions Grasset
2020
280 pages

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