Quatre ans après son dernier concert à l’auditorium Stravinski, le profil svelte et le costume trois pièces sont identiques. En ce samedi 2 juillet 2022, je suis à nouveau le témoin d’une épiphanie. Nick Cave et ses Bad Seeds déroulent, pendant plus de deux heures, leur liturgie. J’y reconnais les démons, mais surtout le parcours de rémission entamé par l’Australien. Une expérience organique et spirituelle. Récit.
Longtemps, il a fallu appréhender l’écriture de cet article. Oui, lorsque j’ai découvert Nick Cave sur cette même scène en 2018, ce fut la sidération. Oui, pendant les mois qui ont suivi, j’ai plongé dans une quête d’absolu. Naviguant dans une mine d’or inexploitée, je sondais l’origine de ce choc frontal, de cette collision qui m’avait laissée hébétée au beau milieu d’une nuit d’été. Alors, remettre en jeu cette anamnèse était à double risque: la déception d’une seconde rencontre? Le risque de défaillir à cette nouvelle messe du rock?
Une scène incantatoire
A 22h15 précises, Get Ready for Love signe un démarrage en trombe. Une ambiance humide et lourde sature la salle. Je constate que l’absence de climatisation et la proscription de tout rafraîchissement dans l’enceinte du Strav’ participeront à me transporter loin de Montreux, là où le temps n’a plus lieu d’être. Comme lors de tous les concerts du crooner, une planche parallèle au public est installée sur la longueur de la scène à hauteur du premier rang. Le leader des Bad Seeds y prêchera ses psaumes. De long en large, il parcourt son estrade, l’œil inquisiteur. Nonchalamment, après chaque titre, il crache sa glaire.
Les incontournables ne manquent pas. L’avènement du «King of Rock’n’roll» dans la tempête de Tupelo, la réincarnation jouissive de Jubilee Street et le pacte diabolique de Robert Johnson, aux abords de Genève dans Higgs Boson Blues. Les titres se prolongent, les Bad Seeds se calent sur les pauses et les emprunts du maître de cérémonie. En face de moi, juste derrière Georges Vjestica, une veine saillante traverse le cou du batteur Jim Sclavunos. Warren Ellis, au violon, se propulse sur le plat de sa chaise.
Voir au-delà de la main rouge
L’album Carnage, issu du projet entre le chanteur et Warren Ellis – qui co-écrit quasiment l’intégralité des nouveaux titres du groupe – est présenté par l’intermédiaire de deux titres dont White Elephant, s’élevant crescendo et profitant de la présence de choristes. L’ensemble rend presque anecdotique Red Right Hand, popularisé par la série Peaky Blinders. C’est que Nick Cave n’est plus cette fiction magnifique du démon.
Au piano, l’émotion le submerge lors de l’interprétation de I Need You, seul titre de Skeleton Tree joué. Les paroles «just breath» seront répétées comme un leitmotiv durant tout le concert. Au milieu de la nuit, le poème de Ghosteen Speaks signe l’aboutissement de cette parenthèse magique. L’assistance ondule, comme une dernière communion dédiée aux invisibles et à la fragilité de l’existence.
Me voilà rassurée: l’ensorcellement a donc bien eu lieu. La grande découverte a laissé place à l’émerveillement. Croiser le regard de Cave, à travers la lumière crue des projecteurs, c’est détenir la certitude d’avoir assisté à un événement éternel.
Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com
Crédit photo: © Lionel Flusin
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