Vous êtes sur smartphone ?

Téléchargez l'application Le Regard Libre depuis le PlayStore ou l'AppStore et bénéficiez de notre application sur votre smartphone ou tablette.

Télécharger →
Non merci
Accueil » Antoine Vuille contre la culture du clash
Politique

L’essai du mois

Antoine Vuille contre la culture du clash4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
0 commentaire
culture du clash

Alors que le débat se polarise et se personnalise, Antoine Vuille défend l’importance d’une argumentation rigoureuse. Le philosophe invite à éviter les vices qui affaiblissent l’échange d’idées en démocratie, non sans éviter quelques questions qui fâchent.

Replacer l’argumentation au centre des débats. Telle est l’invitation faite par Antoine Vuille dans son essai Contre la culture du clash. Débat d’idées et démocratie, paru aux Editions Eliott en novembre. Le lecteur attaché au débat rationnel en démocratie ne peut que se réjouir d’un tel appel. Et ce d’autant plus que la Suisse, comme le montre l’auteur, n’est pas à l’abri du culte de la personnalité et de la polarisation des opinions que l’on observe un peu partout.

En revanche, comme le relève également l’essayiste, ce pays tient déjà dans son système des incitations à la discussion de fond, à commencer par la démocratie directe. Avec les votations, le citoyen s’exprime régulièrement sur des objets, et non pas sur des personnes. Selon Antoine Vuille, il s’agit d’entretenir cette culture en évitant les «vices argumentatifs» qui minent le débat d’idées et favorisent l’affrontement malhonnête et la politique spectacle.

A lire aussi | Ni raison sans débat ni débat sans raison

Ces pièges à esquiver, l’enseignant de philosophie et de français au Gymnase de Bienne et du Jura bernois en répertorie quatre types. D’abord, les arguments ad hominem, qui ne sont en réalité pas des arguments, mais des reproches. Un cas récurrent est la critique d’un politicien concernant l’écart entre son discours et ses propres actes. Ainsi, alors qu’il plaide pour le vélo en ville, il s’y déplace toujours en voiture. Antoine Vuille rappelle très justement que «ce n’est pas parce que quelqu’un a un comportement incohérent avec les idées qu’il défend que celles-ci sont mauvaises». Et justement, un débat porte sur les idées, pas sur les personnes. «Quelqu’un d’immoral et de dépravé peut, par ailleurs, former de très bons arguments», résume le philosophe.

Un deuxième vice argumentatif revient à confondre les arguments avec les explications causales. «Si l’on demande à un progressiste pourquoi il y a autant de personnes qui soutiennent le parti conservateur, le progressiste pourrait être tenté de répondre: “Parce que les gens sont mal informés”, “Parce que le parti conservateur manipule les citoyens (…)”, ou encore, plus abruptement, “Parce que les gens sont racistes” (…).» D’après l’essayiste, ce «sophisme causaliste» laisse entendre qu’il n’y aurait aucune justification possible de ces idées, aucune argumentation à trouver en leur faveur, mais seulement des explications causales de type psychologique, sociologique, etc. Et c’est cette discréditation implicite et a priori d’un type d’idées qui pose problème aux yeux de l’auteur.

A lire aussi | Frédéric Taddeï: «Les gens n’aiment plus le débat»

Troisième obstacle à un authentique débat d’idées relevé par Antoine Vuille, la mauvaise foi. Celle-ci consiste pour un débatteur à balayer d’un revers de main un argument opposé, simplement pour ne pas perdre la face, alors qu’il sait (ou de moins croit) que cet argument est vrai. C’est un point sur lequel insiste l’auteur dans son ouvrage à juste titre: dans un débat de qualité, il est important pour toutes les parties d’examiner chaque argument mobilisé par ses interlocuteurs et de les évaluer en tant que tels.

Un de ces arguments peut tout à fait être vrai, sans pour autant peser suffisamment dans la balance. Il est possible – et souhaitable – de reconnaître que son partenaire de discussion met le doigt sur quelque chose de juste, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’on lui donne raison sur toute la ligne. C’est l’évaluation du nombre de raisons de soutenir ou non une idée, et du poids de ces raisons, qui motive la position sur l’ensemble.

Le quatrième écueil décortiqué par Antoine Vuille est régulièrement abordé depuis quelques années avec l’essor des neurosciences: le biais de confirmation. Celui-ci décrit une tendance de l’individu à ne prendre en considération que les faits qui l’arrangent pour asseoir la thèse qu’il compte défendre. Les faits qui nuanceraient voire invalideraient son propos sont alors négligés. L’auteur donne notamment l’exemple du Brexit: plusieurs années après, les personnes qui s’opposaient à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne jugent les effets du Brexit négatifs, tandis que ses partisans en tirent un bilan positif…

A lire aussi | La philosophie a autre chose à offrir qu’un supplément d’âme

Docteur en philosophie de l’Université de Neuchâtel, Antoine Vuille est convaincu que l’argumentation ouverte et minutieuse, telle que pratiquée dans sa discipline où l’on prend au sérieux un désaccord, est un exemple à suivre pour le débat d’idées en général. Sa démonstration est persuasive, et son analyse logique des différents genres d’arguments très utile. On regrettera toutefois que certaines questions qui fâchent ne soient pas traitées, comme les conditions d’une véritable liberté d’expression, ou le risque d’une «tyrannie des minorités» – seule celle de la majorité est abordée. Que la discussion continue!

Diplômé en philosophie et journaliste de profession, Jonas Follonier est le rédacteur en chef du Regard Libre.

Vous venez de lire une recension tirée de notre édition papier (Le Regard Libre N°114).

Antoine Vuille
Contre la culture du clash. Débat d’idées et démocratie
Eliott Editions
Novembre 2024
168 pages

Vous aimerez aussi

Laisser un commentaire

Contact

Le Regard Libre
Case postale
2002 Neuchâtel 2

© 2025 – Tous droits réservés. Site internet développé par Novadev Sàrl