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Economie de guerre, vers l’Etat-Mammouth?6 minutes de lecture

par Arthur Billot
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économie de guerre

A l’heure de turbulences géopolitiques, l’interventionnisme peut être souhaitable, à condition que le pouvoir politique soit capable de faire marche arrière ensuite. Or, rien n’est moins sûr en ce qui concerne un pays comme la France, par ailleurs déjà surendetté.

L’invraisemblable lynchage du président ukrainien Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale fin février sonne le tocsin: désormais, les Européens sont seuls pour défendre la démocratie libérale en Europe. Emmanuel Macron a annoncé l’entrée de la France dans une économie de guerre. Au programme, augmentation du budget de la Défense, accélération du réarmement et investissements massifs dans l’industrie militaire.

Les chaînes de production d’armement tournent déjà à plein régime: alors que la France produisait 500 obus par an en 2017, ce chiffre est passé à 3’000 obus par mois en 2024. La cadence de fabrication des Rafale a triplé depuis le début du conflit en Ukraine.

Au-delà des effets d’annonce, l’invocation de l’économie de guerre semble préfigurer l’avènement d’un Etat-Mammouth. Alors que l’Europe tente de mettre un point final à l’autoritarisme russe, le libéralisme – fondement économique et politique du continent – semble mis entre parenthèses, pour le meilleur et pour le pire. Car le dirigisme ne doit pas devenir un horizon indépassable.

La guerre, fossoyeur du libéralisme

La guerre en Ukraine incarne un front pionnier, mouvant et labile, entre deux visions du monde irréconciliables. L’Etat westphalien se trouve derechef au centre du jeu international, en dépit des thèses de la «fin de l’histoire» de Francis Fukuyama. Envolé, le doux commerce. Désormais, Vladimir Poutine et Donald Trump obligent l’Europe à prendre ses responsabilités.

La Fédération de Russie a construit pierre après pierre sa surdité aux idées libérales, tombant dans l’ornière monotone des démocratures. Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, l’air de la liberté se raréfie à Moscou, pourtant personne ne semble s’étouffer. Economie dirigée, pays affamé, pouvoir illimité. Le Kremlin dresse, apprivoise, soumet tous les secteurs: l’énergie, l’industrie de défense et les infrastructures. Il brandit la férule en cas de nécessité. La concurrence, sur le marché politique comme dans la vie économique, est un angle mort.

Une économie de guerre reconfigure intégralement les structures économiques. Il ne s’agit pas seulement d’une réallocation des ressources budgétaires. En France, pays à forte tradition étatiste, l’économie de guerre désormais décrétée implique un contrôle accru des forces vives. L’interventionnisme induit une distorsion du marché, un fléchage de l’épargne, la culture de l’attentisme et une dépendance des entreprises à la puissance publique, puis une dépendance au sentier, de faibles incitations à l’innovation, une complexification administrative, une hausse durable de la fiscalité ou un endettement insoutenable… Sans compter que la charge de la dette est déjà en passe de devenir le premier poste de dépense de l’Etat français.

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L’économie de guerre redessine le rapport entre l’Etat et le citoyen. La sécurité peut parfois concurrencer les libertés individuelles. Pour limiter l’influence des campagnes de désinformation russes, l’Union européenne (UE) et plusieurs Etats membres ont durci leur politique de fact-checking en ligne. Des médias russes comme RT et Sputnik ont été interdits. Les mesures dites «d’exception» à la liberté d’expression tendent à se pérenniser, piquant d’une écharde kafkaïenne la chair de nos démocraties, prises dans les rouages d’une bureaucratie inébranlable. Nos libertés publiques ne doivent pas être tyrannisées par la toute-puissance des décrets, cette littérature bavarde.

Démondialisation en temps de guerre

La guerre en Ukraine catalyse le phénomène de démondialisation. Face aux nouvelles réalités géopolitiques, l’Europe et les Etats-Unis adoptent un virage protectionniste. Leur objectif est clair: sécuriser leurs industries stratégiques et éviter toute dépendance à des pays jugés hostiles. L’UE a adopté un mécanisme de filtrage des IDE (Investissements directs étrangers), limitant les rachats d’entreprises sensibles par des acteurs chinois ou russes. Si la Russie est déjà largement coupée du marché occidental, la Chine reste une interrogation majeure. Cette politique a cependant son revers. Les barrières commerciales augmentent les coûts. En limitant les importations et en favorisant la production locale, les Etats risquent de faire monter les prix pour les consommateurs et les entreprises.

L’investissement massif dans l’industrie de la défense, bien qu’essentiel dans le contexte actuel, pourrait nuire à d’autres secteurs stratégiques à long terme. Une concentration excessive des ressources dans le complexe militaro-industriel se ferait au détriment d’autres investissements cruciaux, notamment dans l’éducation, la santé et la transition énergétique. En temps de guerre, l’économie tend à se spécialiser, risquant de devenir mono-industrielle. Il est important de conserver une économie diversifiée, fondée sur l’initiative privée et une pluralité de secteurs.

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Historiquement, les pays qui ont structuré leur économie autour du complexe militaro-industriel ont fait face à une dépendance au sentier, c’est-à-dire une incapacité à sortir aisément de choix économiques initiaux, même lorsqu’ils ne sont plus optimaux. Les Etats-Unis, après la guerre froide, ont conservé une économie en partie militarisée. L’économie de guerre peut parfois muter en un capitalisme de connivence. Celui-ci induit une distorsion de la concurrence, de la croissance, par des avantages artificiels. Il se développe alors des rentes de situation indéboulonnables. Celles-ci limitent la destruction créatrice, pourtant essentielle en temps de guerre comme en temps de paix.

Si la guerre s’éternise, l’Europe risque de s’enfoncer dans une économie militarisée, dirigée, atone. Dans cette perspective, l’Etat deviendrait omnipotent, inexorable, étouffant les possibilités d’une réelle innovation. L’Etat-mammouth, de nécessité passagère, peut devenir sort définitif. L’avenir du modèle libéral se joue aujourd’hui, entre impératifs sécuritaires et préservation des libertés.

Arthur Billot est étudiant en sciences politiques. Il travaille actuellement sur le libéralisme suisse.

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