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Les raisons de combattre en dictature sont-elles différentes qu’en démocratie?4 minutes de lecture

par Clément Guntern
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dictature

Depuis bientôt un an, les soldat russes se battent en Ukraine dans une guerre dont la rationalité échappe à une grande partie du monde. Côté ukrainien, les raisons de combattre sont presque une évidence, une question de survie. Dans les rangs russes, la question se pose.

Qu’est-ce qui pousse ces hommes à résister, à tenir la ligne, à vouloir monter au front, obéir à leurs officiers et mourir peut-être pour leur pays? C’est précisément la question que se pose Jean-Luc Leleu dans son récent ouvrage Combattre en dictature. 1944 – La Wehrmacht face au débarquement. Au fil des pages, l’historien interroge les ressorts et les déterminants qui poussèrent soldats et commandants à obéir, à se battre «jusqu’au dernier» dans une guerre qui était déjà perdue. Alors qu’une guerre se déroule à nos portes, difficile de ne pas tirer de ce livre quelques enseignements.

Quelles sont les raisons de combattre?

A tout prendre, les facteurs de base qui incitent un soldat à combattre ne varient pas fondamentalement entre une démocratie et une dictature. Comme le rappelle Jean-Luc Leleu, «[à] vouloir intellectualiser la guerre, on oublie parfois les facteurs les plus élémentaires qui influencent le moral au quotidien». Le soldat doit être vêtu correctement, nourri régulièrement et recevoir en suffisance un matériel efficace. C’est une sorte de «contrat social» entre le soldat et l’institution. En échange de sa prise en charge, le soldat doit obéissance à ses supérieurs. Dans la plupart des cas, «le sentiment de loyauté, le carcan de l’institution militaire, le conditionnement à l’obéissance, la répétition des gestes, le mimétisme comportemental» suffisent à expliquer la combativité et la résistance d’une unité, en démocratie comme en dictature, en Normandie comme dans le Donbass.

Cependant, à la différence des dictatures, les démocraties se doivent de générer un minimum d’adhésion à leur cause parmi les soldats. Dans la Wehrmacht de 1944, « la violence physique dans l’exercice du commandement » se retrouvait à tous les niveaux. Surtout, les forces armées allemandes étaient parvenues à créer «une ‘‘réaction machinale aux ordres’’ parmi le soldat allemand qui le conduisait à combattre jusqu’aux limites de ses capacités autant qu’à se montrer d’une grande docilité une fois capturé». Enfin, la diffusion d’une propagande sur plusieurs années, une confiance envers le chef, Hitler comme Poutine, et tous les facteurs d’encadrement, fonctionnent comme autant de moteurs fournissant l’élément central: un espoir de victoire. Combattre dans le seul but de vaincre, en somme.

A quel moment la volonté s’effondre-t-elle?

Si la Wehrmacht est allée jusqu’à créer une forme d’asservissement de ses soldats, ces derniers n’étaient pas des machines. Le «consentement au sacrifice», surtout dans des situations désespérées, finit souvent par disparaître. L’absence de ravitaillement, des missions sans espoir de réussite, l’épuisement physique et mental poussait les soldats à adopter des «stratégies d’évitement»: se constituer prisonnier, déserter, chercher à rester à l’arrière, s’automutiler, voire se suicider.

En dictature, quand l’information est verrouillée et que des situations défavorables se présentent, une dissonance cognitive grandit parmi les soldats. Elle se caractérise par une incompatibilité entre une réalité défavorable et l’idée, inculquée par la propagande, selon laquelle la victoire est inévitable. En Normandie, «[i]l fallut donc trouver le moyen de réinterpréter la réalité dans un sens positif qui leur laissât un motif d’espérer ». Le risque, pour une dictature, est la disparition de cette dissonance et une acceptation de la réalité. «[Une fois arrivé en Allemagne], on assista alors à un phénomène brutal de décompensation du corps social allemand: tous les artifices émotionnels inspirés par la propagande du régime et fondés sur le charisme de Hitler ne suffirent plus à équilibrer une situation militaire désormais jugée désespérée par la plupart.» C’est là que le «consentement au sacrifice» disparaît.

Le cas de l’armée russe en Ukraine

Les raisons qui poussent des hommes à risquer leur vie et à éventuellement mourir sont sensiblement les mêmes en démocratie et en dictature. Le régime de Poutine ne fait pas exception. Que ce soit grâce aux pensions et aux récompenses pour les soldats ou à l’obéissance et à la coercition, les soldats russes continuent pour l’instant le combat. Mais il leur faut, comme dans la Wehrmacht, une confiance dans leur chef qui leur donne l’espoir d’une victoire prochaine. Or, Poutine a déjà vaincu dans le Donbass et rapporté la Crimée à leur pays. Autre élément essentiel organisé par le dirigeant russe depuis maintenant vingt ans: la destruction de toute forme d’alternative crédible au pouvoir actuel, pour que les Russes aient pour seules options le combat ou le chaos. Chaos qu’ils sont déjà nombreux à avoir vécu lors de la dissolution de l’URSS.

Mais voilà que la dissonance cognitive grandit au sein de l’armée et de la population. Si la Russie est aussi puissante que le dit le Kremlin, pourquoi recule-t-elle en Ukraine? Quelle sera la limite à partir de laquelle les illusions des Russes sur leurs capacités de vaincre et sur la légitimité de cette guerre disparaîtront? Quand est-ce que les Russes ouvriront les yeux? Pour les Allemands, l’événement déclencheur fut l’arrivée des Alliés sur le Rhin, aux portes de la patrie.

Ecrire à l’auteur: clement.guntern@leregardlibre.com

Vous venez de lire une analyse tirée de notre édition papier (Le Regard Libre N°91).

Crédit photo: Lukyanivka, Ukraine, 25 mars 2022, véhicule militaire russe détruit © Oles Navrotskyi

Jean-Luc Leleu
Combattre en dictature. 1944 – La Wehrmacht face au débarquement
Editions Perrin
2022
776 pages

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