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Suisse

Analyse

Céline Vara et la révolte des élites5 minutes de lecture

par Raphaël Pomey
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Dans la tourmente pour s’être rendue en avion dans la péninsule arabique, la politicienne verte a rendu malgré elle un hommage appuyé à la pensée de l’historien américain Christopher Lasch, auteur de La révolte des élites (1994).

Le sexe est politique, la répartition des tâches domestiques est politique, l’éducation des enfants est politique… Plus le caractère démocratique de nos institutions est méprisé, soumis aux ambitions de politiciens professionnels, plus les moindres recoins de l’existence font l’objet d’un foisonnement de discours d’élites désireuses de guider une population – qui n’en demandait pas tant – vers le progrès.

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L’avènement de cette société thérapeutique, l’historien et sociologue américain Christopher Lasch (1932–1994) n’a cessé de le dénoncer durant toute sa trop brève existence. Que s’amuserait-il, aujourd’hui, en découvrant les alliés de l’écologiste Céline Vara – future conseillère d’Etat neuchâteloise – défendre le droit à la vie privée à propos de ses vacances en famille dans un cinq étoiles à Oman!

Une véritable gifle

Que la politicienne ait droit à une vie privée, c’est évident. Mais il en va de même pour la population. Or, tandis que le scandale Céline Vara éclatait, certains auront peut-être fait le lien avec une décision prise au Conseil national: l’interdiction des gifles et des fessées, à laquelle seule l’UDC s’est opposée. A croire qu’il y aurait une bonne et une mauvaise vie privée. Sans quoi, personne ne se réjouirait de l’intrusion de l’Etat dans nos demeures.

La période, quoi qu’il en soit, est à l’incohérence. On reproche notamment à Madame Vara un goût prononcé pour le «faites ce que je dis, pas ce que je fais». Pourtant, jusque sous nos latitudes, nombreux sont ceux qui s’enthousiasment pour le retour d’un certain ordre moral porté, aux Etats-Unis, par un président dont la conduite personnelle n’a pas toujours brillé par sa rigueur. Formulons donc l’hypothèse suivante: lorsque les valeurs sont acceptées, l’homme de la rue a naturellement tendance à beaucoup pardonner.

Mais alors, pourquoi tant de colère dans l’affaire Céline Vara? Parce qu’elle illustre parfaitement le phénomène analysé par Lasch dans son testament intellectuel, La Révolte des élites[1], paru peu après sa mort. Dans le chapitre éponyme, l’historien rappelle comment, pendant des décennies, la «révolte des masses» fut perçue comme la principale menace «contre l’ordre social et la tradition civilisatrice de la culture occidentale»[2]. Or, observe ce pilier d’une pensée populiste vertueuse, ce sont désormais ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie qui «ont perdu foi dans les valeurs de l’Occident – ou ce qu’il en reste». Et ça, le peuple le sent.

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Certaines classes privilégiées, annonçait déjà Lasch, «se sont sorties de la vie commune»[3]. Le malaise suscité par le voyage de Céline Vara ne vient donc pas tant de son caractère hypocrite que de ce qu’il révèle des vertus réelles de son camp. Ceux qui prétendent lutter pour les gens ordinaires se révèlent de simples «agents dominés de la domination» (l’expression est de Jean-Claude Michéa, qui préface la version française de l’essai de Lasch), attachés surtout à leurs privilèges de classe. Ces personnes dénoncent publiquement le pouvoir, non parce qu’ils rêvent d’une société plus juste ou plus décente, mais parce qu’elles veulent en intégrer les rouages. Leur objectif est de se maintenir à bonne distance d’un petit peuple jugé dangereux, peu éduqué, irresponsable – d’où, comme l’avaient déjà observé Lasch et Orwell avant lui, dans Le Quai de Wigan, cette obsession délirante pour la santé, la rectitude morale et la censure.

Dénoncer les riches à la tribune, puis les retrouver au bar

Alors que l’affaire Vara éclatait, sa présidente de parti, Lisa Mazzone, demandait que la Confédération coupât les vivres aux «super-riches» (sic) du Forum économique de Davos. Cette dénonciation rituelle, constante dans sa famille politique, des «1%» les plus puissants relève du même procédé: faire oublier qu’on est soi-même le valet de cette oligarchie. Dont on fréquente les mêmes hôtels.

*

Après quelques jours de mutisme, Céline Vara est sortie de son silence. Sans grande créativité, l’élue et ses soutiens ont dénoncé une attaque sexiste, que l’on réserverait de surcroît aux femmes de gauche. Quant à la conseillère nationale vaudoise Léonore Porchet – qui jugeait «assez nul» l’article du Blickà l’origine de l’affaire – ou à Lisa Mazzone, toutes deux préféraient, pour une fois, fuir les médias.

On disait autrefois que «noblesse oblige». Aujourd’hui, l’appartenance à la caste des politiciens professionnels permet tout.

Journaliste et écrivain, Raphaël Pomey est le fondateur du média suisse Le Peuple.

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[1] 1995, ici dans la version Flammarion, collection Champs essai, 2007 (Trad. Christian Fournier).

[2] P. 37.

[3] P. 57.

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