Regard sur l’actualité – Nicolas Jutzet
Un sentiment étrange me reste après la lecture de Bienvenue place Beauvau, celui d’une France qui se meurt. Comme si elle arrivait au bout, essoufflée, et qu’un nouveau départ était nécessaire. Une feuille blanche, pour retrouver ne serait-ce qu’un semblant de virginité, ô combien mise à mal par les actuels «amoureux de la République». L’essai des journalistes d’investigation français Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé dresse un compte-rendu mortifiant de la déliquescence d’un organe pourtant central dans un Etat de droit qui se veut respectable. La machine policière française est une véritable usine à gaz qui laisse la part belle à la connivence, au copinage et, ce qui semble en être la suite logique, à la médiocrité.
Nombreux sont les exemples listés dans ce témoignage désabusé de la situation exécrable que vit la France. La surveillance est monnaie courante, que ce soit pour un rival politique ou un criminel supposé, les procédures sont faciles. Le soupçon est généralisé. Mais plus inquiétant encore, certaines affaires sortent carrément de la légalité et restent impunies. Ce qui, vous l’admettrez, est une réalité passablement difficile à assumer pour ceux qui devraient justement faire régner l’ordre.
Les luttes d’influence pour une once de pouvoir supplémentaire gangrènent l’entier de la construction qui ne cesse de trembler sur des fondations instables. Sans cesse remise en question, réformée sans réflexion sur le long terme, la machine policière est à l’agonie. On place ses amis aux postes délicats, pour s’assurer de leur fidélité le moment venu. On se court-circuite, on intrigue, on fait échouer l’autre, on détruit ce que notre prédécesseur a mis en place, oubliant sans cesse que c’est pour la France, un idéal, que l’on s’est engagé. Et les mêmes, Valls en particulier, qui ne jurent que par la «République» face à la caméra, s’avèrent être de pitoyables fossoyeurs en coulisses.
La querelle entres gendarmes et policiers est ici l’image la plus flagrante de cette pathologie française. Après avoir subi le mépris sous le quinquennat Sarkozy, la gendarmerie reprend des couleurs sous celui de François Hollande. Bien aidée par l’impitoyable Manuel Valls, elle avance ses pions pour tenter de grignoter, miette par miette, l’avance concédée à la police. Difficile de voir surnager un hypothétique «intérêt général» dans un tel combat politique pour sa grotesque part du gâteau.
La sécurité des Français passe après les logiques internes, les jeux de pouvoir. Ces individus n’aiment pas la République, se fichent de l’intérêt supérieur qu’ils disent pourtant défendre à chaque discours, à chaque intervention, qui sans cesse vient rappeler le présupposé rôle crucial que jouerait l’Etat dans la vie des citoyens.
De nombreuses affaires viennent confirmer ce constat. L’affaire du Sofitel qui discrédite Dominique Strauss-Kahn est par exemple paradoxalement une mauvaise nouvelle pour celui qui règne au même moment à l’Elysée. «Quant au plan initial de Sarkozy, il a échoué: en toute discrétion, un groupe de flics avait conduit une enquête sur les soirées coquines de DSK, financées par un ami entrepreneur. L’affaire du Carlton aurait du exploser juste au moment de la primaire, disqualifiant DSK mais aussi tout le PS». Nous avons donc un Président qui se fait justice lui-même, garde des dossiers sous la main, n’hésiterait pas un instant à faire le jeu du FN en discréditant la politique, juste pour être élu. Faire vaciller la France pour son auguste personne.
Autre situation ubuesque: la France et sa guerre contre la drogue. Encouragée par Manuel Valls, cette bataille mène les différents services à surenchérir. C’est à qui présentera la plus grosse prise aux médias. Pour ce faire, chacun possède ses «tontons», ses informateurs sur le terrain. Ce qui fait que «certes, ils saisissent énormément de marchandises. Mais pour pouvoir le faire, ils en laissent passer sciemment des tonnes. C’est même parfois pire: certains montent eux-mêmes des opérations, destinées à satisfaire leur hiérarchie et les décideurs. Les services de L’Etat sont devenus en France les plus gros trafiquants de drogue». Dans certaines parties du pays, on ne peut plus parler d’une économie souterraine, mais d’une économie tout court. En Seine-Saint-Denis, le trafic génère un milliard de chiffre d’affaires par année. Il fait partie du paysage et de la vie des habitants: «Il est à la fois facteur de paix sociale et contribue à une certaine stabilité économique dans des cités les plus paupérisées». Dans ce pays, une légalisation du cannabis n’entraînerait pas un problème de santé publique, mais potentiellement de sécurité publique tant les perdants seraient nombreux.
J’invite chacun à découvrir l’intégralité du travail d’investigation par lui-même en lisant le livre. Le défi n’est pas tant de finir les 239 pages, mais de garder espoir après les avoir lues.
Ecrire à l’auteur: nicolas.jutzet@leregardlibre.com