Article inédit – Jonas Follonier
L’essayiste Eric Zemmour est officiellement candidat à la présidence de la République française. Il a choisi la forme d’une vidéo personnelle postée sur les réseaux sociaux en ce mardi 30 novembre à 12h00 pour l’annoncer officiellement, avant de répondre aux quelques questions de Gilles Bouleau au 20 heures de TF1. Si la transformation de l’éditorialiste et écrivain en homme politique est une nouvelle plutôt inquiétante, quelle que soit notre position à l’égard de ses analyses, elle comporte aussi du très positif. Et ce, pour tout le monde également.
Que l’on soit farouchement antizemmourien ou défenseur acharné des thèses les plus osées de l’auteur du Suicide français, on peut être raisonnablement circonspect face à la décision définitive d’Eric Zemmour de se présenter à la présidentielle 2022. Si l’on se met dans la peau de ses admirateurs, terrible est la perspective de le voir peut-être se discréditer en cas de défaite – et ainsi risquer de ne plus jamais être le brillant éditorialiste de naguère. Et si l’on est un adversaire d’Eric Zemmour, en tout cas de ses idées, c’est l’éventualité de sa victoire qui est choquante, ainsi que la probabilité d’une «zemmourisation» des programmes. Avec Zemmour au pouvoir, on peut légitimement redouter une plongée de la France dans un régime politique et juridique illibéral, de mauvaises solutions apportées à de vrais problèmes (notamment liés à l’immigration), une politique économique et extérieure purement protectionniste, et j’en passe et des meilleurs.
Répartie, érudition et cohérence pour tous
Il n’empêche… Qui dira ne jamais avoir vibré devant l’art du polémiste lors de ses homériques sorties télévisées quand il officiait encore chez Ruquier? Même ceux qui – hypothèse osée oblige – n’ont jamais été émoustillés par son talent de débatteur-punchliner sont obligés de lui reconnaître ce talent, même s’ils ne vous le diront jamais. Irons-nous jusqu’à dire qu’il s’agit d’un bon orateur? Non. Dans le débat Zemmour-Mélenchon diffusé il y a quelques semaines sur BFM TV, tout le monde a pu constater que le second demeurait le meilleur des derniers rhéteurs, et que Zemmour n’en est pas vraiment un. Ses «euh» sont nombreux, sa prononciation pas toujours glorieuse («la Fronce conquéronte»), sa grammaire un peu aléatoire. Or, encore une fois, il ne s’agit pas de donner un cours au Collège de France, mais d’être efficace sur un plateau de télévision. Il l’est. De quoi rendre ces prochains mois rock ’n roll.
Ensuite, mentionnons un point important qui n’a pourtant guère été relevé dans les centaines d’articles consacrés au «phénomène Zemmour» ces derniers mois: son érudition. Certes, Zemmour choisit les auteurs qui l’arrangent – mais soyons honnêtes, qui ne le fait pas? Certes, Zemmour n’a ni le nombre de lectures ni la méthode rigoureuse des universitaires – mais quel candidat peut se vanter de les avoir? Et surtout, en quoi faudrait-il qu’un prétendant à l’Elysée eût un profil académique? Disons l’essentiel: Eric Zemmour lit, quand peu de personnes dans la société, y compris parmi les élites politiques, lisent encore. Eric Zemmour a de la culture historique. Eric Zemmour a une sensibilité littéraire, culturelle, philosophique. Eric Zemmour a des références (dont certaines sont bien sûr plus que discutables), un relief, une idéologie. Que les autres en prennent de la graine. Ne serait-ce que pour que l’on sache qui ils sont.
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Pour couronner le tout, Zemmour est, de manière générale, cohérent. Une denrée rare. On lui trouvera bien sûr quelques contradictions, pourquoi pas d’ailleurs entre ses paroles et sa vie privée, mais très rarement sur le plan austère de ses réflexions. Eric Zemmour – c’est sa force et son danger – s’est bâti un système pendant des années, des décennies. D’où son aisance à répondre à tout le monde sur tout sujet. En ramenant toujours le propos aux thèmes qu’il chérit, ainsi qu’à sa fameuse grille d’analyse. Il s’agit maintenant de lui en opposer d’autres, ou une autre pour commencer! Pour enrichir la vision de Zemmour, l’infléchir ou encore la détruire. Qu’importe.
Ce qui compte, c’est de ne pas le laisser seul sur ce terrain essentiel, à savoir le terrain intellectuel qui parle aux gens. L’occasion est trop belle. Le candidat Eric Zemmour pourra avoir comme grand effet bénéfique de forcer ses adversaires à devenir de meilleurs débatteurs, de meilleurs penseurs et de meilleurs vulgarisateurs. Et par-là de faire apparaître de nouveaux talents, de nouvelles idées, de nouvelles discussions, de crever des abcès, de déterrer des non-dits. En France comme ailleurs.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Image d’en-tête: Eric Zemmour en octobre 2021 © Wikimeda CC 4.0