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«Annette» (d)étonne6 minutes de lecture

par Kelly Lambiel
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Les mercredis du cinéma Kelly Lambiel

Après neuf ans d’absence, Leos Carax ouvre le 74e Festival de Cannes avec un véritable feu d’artifice. Annette, son sixième long-métrage, porté par Marion Cotillard et Adam Driver, est en quelque sorte à son image: avant-gardiste et poétique pour certains, grotesque et ennuyeux pour d’autres. A mi-chemin entre la comédie musicale tragique, sombre, et l’opéra rock excentrique, lumineux, il possède en tout cas le mérite de ne pas laisser indifférent.

Tout commence lorsque les frères Ron et Russell Mael du mythique et déjanté groupe pop-rock Sparks décident d’envoyer à Carax leur album Annette. Cette œuvre musicale narrative raconte déjà l’histoire qui servira de toile de fond à celle du film. Le réalisateur qui a utilisé How Are You Getting Home?, l’un de leurs morceaux, dans son étonnant Holy Motors (2012) et a ensuite interprété le titre When You’re a French Director sur leur album Hippopotamus (2017), leur propose alors de mettre en images cette fable singulière qui trouve en lui une résonance particulière. Leurs univers atypiques entrent ainsi en symbiose mêlant cruauté, humour, cynisme, beauté, folie et merveilleux.

Seulement voilà, Carax a besoin de temps pour s’approprier le projet et créer la forme capable de le porter. C’est que la thématique centrale est délicate sur le plan personnel et pourrait, selon lui, troubler sa fille Nastya Golubeva Carax alors âgée de 9 ans. De nombreuses similitudes pourraient en effet être tissées, et mal interprétées, entre sa tragique relation avec l’actrice Katerina Golubeva et l’histoire qui unit les protagonistes du film. Aujourd’hui, visiblement compris et soutenu par son enfant, puisque Nastya apparaît aux côtés de son père dans la première scène du film qui se révèle d’ailleurs lui être dédié, Carax semble avoir trouvé le moyen de raconter la destinée d’Annette et peut-être exorcisé, dans le même temps, quelques démons.

Une fable cruelle

Annette, c’est l’histoire d’une véritable petite poupée issue d’une relation d’amour intense devenue malsaine avec le temps. Ann (Marion Cotillard) est solaire, Henry (Adam Driver) est lunaire. Il est pourtant le feu alors qu’elle est la glace. Célèbre soprano au faîte de sa gloire, Ann incarne l’art, le vrai, celui des élites, le classique, la perfection. Chaque soir, elle accomplit avec brio sa destinée, celle de mourir devant un public conquis. Henry, alors non moins adulé, évolue dans une sphère différente, celle, plus populaire, terrestre, du stand-up. Chaque soir, lui, le gorille, tue son public à coup de vannes cyniques et de jeux de mots acerbes. Ils s’aiment pourtant, ange et humain, et finissent par donner naissance à Annette, un être littéralement à part, une marionnette au regard triste.

Avec le temps, la fougue d’Henry, devenue noirceur, mène le couple à la dérive. Jaloux du succès de son épouse, il souffre en plus de se voir tomber de son piédestal face à un public qui ne rit plus. Et Ann, quant à elle, oie blanche sans tache n’est peut-être pas si étrangère au mal-être de son époux. Après tout, n’est-ce pas elle qui, la première, a croqué la pomme? Elle est, dans tous les cas, aussi coupable que lui pour ce qui est de faire d’Annette non plus une poupée, mais un vulgaire pantin. C’est là la thématique centrale du film et pas de happy end pour ce récit macabre, nulle rédemption, malgré une scène finale des plus dures et émouvantes qui finit par ailleurs par éclairer le spectateur sur le parti pris de la poupée, tout en laissant l’interprétation ouverte.

Un objet étrange

Il faut le savoir – ou, comme dans mon cas, peut-être pas : Annette n’a rien d’un film conventionnel. Après une scène d’ouverture totalement originale, méta, chacun endosse son rôle, son costume, prêt à prendre en charge le récit. Les scènes dialoguées se font rares et laissent place à des tableaux successifs chantés et oniriques, rythmés par des ellipses ou structurés par des «flash info» intempestifs, formant chacun une sorte d’unité, de petite œuvre d’art à elle seule. Un choix esthétique fort, sans compromis, qui peut ravir le spectateur à chaque changement d’ambiance mais finit souvent par le perdre ou le lasser par manque de cohérence. Beaucoup (trop?) de thèmes sont abordés et aussitôt oubliés, à l’instar de la thématique du harcèlement sexuel, scène dans laquelle apparaît en outre la chanteuse Angèle qui «balance son quoi».

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Même si certaines mélodies sont belles, le caractère répétitif des paroles peut avoir une fâcheuse tendance à agacer, en ce qui me concerne du moins. J’ai néanmoins apprécié le défi relevé par les interprètes et ai été transportée par la magie qui se dégage de certaines scènes. Tour à tour grotesques et ridicules, presque malaisantes comme au moment de l’accouchement ou de l’orgasme, ou d’une poésie à couper le souffle, comme lors de la valse en plein océan, toutes les chansons ont été enregistrées non pas en studio, mais directement sur le plateau, en jeu. La voix caverneuse d’Adam Driver sonne étrangement juste dans sa dissonance et, bien qu’elle ait été parfois secondée pour le chant lyrique, le timbre particulier de Marion Cotillard s’accorde parfaitement avec l’ensemble. 

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Annette, conte aussi féérique qu’inquiétant, véritable ovni cinématographique, trouve en somme sa place dans la catégorie des films qu’on aime ou qu’on déteste, qui nous prennent ou ne nous trouvent pas. 

Ecrire à l’auteur: kelly.lambiel@leregardlibre.com

Crédits photos: @ UGC Distribution

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