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Société

Analyse

72 nuances de genre8 minutes de lecture

par Olivier Moos
1 commentaire
genre

L’actualité récente est rythmée par d’étranges débats sur le sexe et le genre qui ne sont pas sans rappeler les querelles théologiques sur le nombril d’Adam. Ces controverses ont néanmoins une origine et une logique interne que cet article se propose d’esquisser.

Le 1er juin 2022 paraissait aux Etats-Unis un documentaire intitulé «Qu’est-ce qu’une femme ?». Narré par le chroniqueur politique Matt Walsh, ce film met en scène une série d’entretiens durant lesquels cette question est posée à une variété de féministes, professionnels de la santé et universitaires. Leurs réponses sont tour à tour embarrassées, confuses ou obscures; il semble qu’aucun ne soit en mesure de résoudre cette énigme.

Une thérapeute explique par exemple que «nous savons à présent que certaines femmes ont un pénis et que certains hommes un vagin», tandis que le directeur du programme «Femmes, Genre et Sexualité» à l’Université du Tennessee rétorque au narrateur: «quand quelqu’un nous dit qui il est, nous devrions le croire»; chercher à dire ce qu’est objectivement une femme, gourmande-t-il, signale condescendance et transphobie.

Comment en sommes-nous arrivés là?

Il y a encore une décennie, le terme femme relevait d’un sens commun largement partagé sur l’ensemble du spectre des sensibilités morales et politiques. Il désignait un humain adulte femelle. De nos jours, en revanche, l’exercice requiert la connaissance d’une riche nomenclature articulée sur une métaphysique du sexe et des identités trans. Produit de concert par les associations LGBTQ et certaines niches académiques, le transgenrisme se compose d’un ensemble d’idées révolutionnaires à propos de la nature humaine et de la relation entre notre réalité corporelle et notre expérience subjective: l’affirmation qu’il est possible d’être littéralement «piégé» dans un corps qui n’est pas le sien, que les personnes sont le «sexe» qu’elles déclarent être indépendamment des preuves du contraire, ou encore que notre identité «sexuelle» n’est en aucune façon déterminée par la biologie.

Il s’agit d’un panier garni de ressources théoriques servant, d’une part, à expliciter l’expérience des personnes dont l’«identité de genre» ne se conforme pas aux traits associés avec le sexe qui leur a été «assigné à la naissance», et d’autre part à promouvoir les réformes institutionnelles et linguistiques postulées nécessaires à la défense des droits de ces personnes. Ce mouvement amène des défis à la fois philosophiques et pratiques qui sont au cœur des objections formulées par un certain nombre de philosophes, psychologues ou scientifiques tels Alex Byrne, Kathleen Stock, Colin Wright, Tomas Bogardus, Debra Soh ou Paul McHugh.

Très en vogue depuis quelques années, le transgenrisme est néanmoins une récente bouture plantée sur le terreau des théories du genre jardinées sur un demi-siècle. Emprunté à la linguistique et désignant originellement les traits sociaux et culturels associées à chacun des deux sexes, le «genre» prend son envol conceptuel sous la plume d’intellectuelles féministes dans les années 1970. La distinction entre sexe et genre devient alors un outil pour condamner l’arbitraire des normes sociales subjuguant les femmes et dénoncer le «déterminisme biologique» censé les justifier. Progressivement, le genre en vient à ne plus seulement désigner les caractéristiques associées à la féminité et la masculinité, mais à capturer le sens même des termes homme et femme. Ces derniers sont dès lors qualifiés de «genrés», c’est-à-dire non plus déterminés par le sexe mais par les dynamiques culturelles et rôles sociaux. Etre homme et être femme deviennent des catégories «socialement construites», comme le mariage ou les règles de la circulation.

C’est dans le sillage de ces développements qu’émergent les récentes innovations conceptuelles. Un certain nombre d’avocats de la cause trans ont en effet réalisé que définir la femme à partir du «rôle social» revenait à exclure de cette catégorie les transgenres mâles qui ne se présentent pas intentionnellement comme femme, ou qui ne sont pas perçus comme telle par la société. Une définition articulée sur le «rôle social» implique que seuls font partie de la catégorie «femme» les individus auxquels la société assigne les rôles et statuts subordonnés considérés par la littérature féministe comme constitutifs de l’«être femme».

Des théories circulaires ou incohérentes

Ce problème d’inclusivité nécessitait donc d’élaborer une nouvelle définition qui dépasse la distinction entre sexe et genre, et ne dépende ni de la réalité biologique, ni d’un «construit social»: la psychologie de l’individu. Le sexe devient en quelque sorte le genre, lequel est déterminé par l’expérience subjective: la seule condition nécessaire et suffisante pour être un homme ou une femme est de s’identifier comme tel. L’actrice canadienne Ellen Page, devenue Elliot en 2020, peut ainsi, du jour au lendemain, être considéré(e) non seulement comme homme au sens traditionnel du terme, mais comme n’ayant même jamais été femme. La distinction se fait entre d’un côté un sexe «assigné» et de l’autre une «identité de genre». Cette dernière désigne le sentiment intime d’une personne d’être un homme, une femme ou une des innombrables identités de genre échappant à cette binarité (queer, non-binaire, bispirituel, xénogenré , etc.). En 2022, on en comptait déjà au moins 72.

Si cette révision est motivée par le souci d’inclusivité, elle débouche néanmoins sur une définition qui n’en est pas une: «une femme est une personne qui s’identifie comme femme» ne nous apprend en effet rien sur ce que le mot désigne. C’est cette difficulté qui explique les réactions confuses et hésitantes à la question «Qu’est-ce qu’une femme?»

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Ce problème n’est pas isolé. Les théories du genre doivent en effet faire face à une série de contradictions et d’incohérences: comment la conviction intime d’un individu a-t-elle la capacité de le rendre homme, femme ou même aucun des deux? Pourquoi devrions-nous souscrire à un dualisme radical entre le sujet conscient et son corps? Pourquoi l’autorité conférée à l’auto-identification en matière d’identité sexuelle n’est-elle pas transférable à d’autresattributs ou catégories, telle que la taille ou l’âge? Comment définir l’expérience individuelle de son identité de genre sans en référer à l’expérience corporelle singulière d’appartenir à un sexe ou à l’autre? En d’autres termes, comment est-il possible de connaître expérimentalement ce que c’est que d’être quelque chose que l’on n’est pas? Cette liste d’interrogations n’est pas exhaustive et il est ici impossible de rendre justice aux diverses querelles byzantines qui animent le champ des théories de genre.

Peut-on résoudre ces questions d’une manière convaincante sans renoncer à une partie des assertions et présupposés avancés? Probablement que non. Tout comme l’idéologie de la «justice sociale» (le fameux «wokisme» qui corrompt nos débats de société), le transgenrisme requiert nécessairement une forme de déni sélectif des contraintes du réel: les facteurs biologiques et évolutionnaires doivent être ignorés, dans la mesure où ils contrarient la croyance que le sujet conscient est radicalement indépendant du corps et que l’expérience subjective a le pouvoir d’émanciper l’identité de la matérialité objective du sexe.

Il va sans dire que les objections adressées au transgenrisme ne présupposent en aucune façon une remise en cause des bonnes intentions qui motivent les acteurs, pas plus qu’elles ne suggèrent une négation des droits des personnes souffrant de dysphorie de genre. Cependant, pour citer Claude Habib dans la conclusion de son essai La Question Trans (2021), «si un individu mal latéralisé proposait d’abolir la gauche et la droite sous prétexte que ces catégories n’ont pas de sens pour lui, et que leur pseudo-existence finit par le vexer, on aurait tort de le lui concéder». Croire qu’un adulte mâle qui s’identifie comme femme est littéralement une femme requiert en effet, pour beaucoup, un degré de suspension de l’incrédulité qui confine à l’acte de foi.

Olivier Moos est docteur en histoire contemporaine de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de l’Université de Fribourg. Il est l’auteur d’une récente étude critique du transgenrisme et de sa réception parmi les philosophes chrétiens.

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1 commentaire

Clara 15 juillet 2023 - 17 05 08 07087

Déja assez compliqué d’être une femme de nos jours! Mais cet article est très intéressant et fait avancer la réflexion!
Mais bon pour le moment notre quotidien sera toujours pareil! Se faire belle et se maquiller pour plaire aux normes sans pouvoir être libre d’être soit même!

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