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Quand Don Winslow enflamme Providence4 minutes de lecture

par Mathieu Vuillerme
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Don Winslow

Bien connu des amateurs de polars, Don Winslow, l’auteur de Savages, livre cette année une nouvelle trilogie – dont La Cité en flammes est le premier tome – inspirée de l’Iliade. S’il nous a habitués à plus de rebondissements, force est de constater qu’il reste un maître du genre.

Même si beaucoup pensent que cet épisode est historique, surtout depuis le film avec Brad Pitt, tout le monde connaît l’histoire de la Guerre de Troie, c’est un fait. Pourtant, peu d’auteurs s’en seront servis pour alimenter leur réflexion. Erreur, quand on voit les possibilités qui s’ouvrent quand on modifie le contexte.

Don Winslow fait le pari de réadapter cette histoire mythique en la transposant dans le Providence de 1986. Deux familles jusque-là amies, les Murphy et les Moretti, respectivement cheffes de clans irlandais et italiens régnant sur la capitale du Rhode Island, se déchirent depuis que Liam, le cadet des Irlandais, s’affiche avec Pam, l’ex petite-amie de Paulie, du clan adverse. A partir de là, une succession d’attaques, de revanches, de coups fourrés et de violence s’abat sur tous les membres des deux familles, et en particulier sur Danny Ryan, le héros du récit.

Mais alors, si l’histoire est connue de tous, quel intérêt à la présenter à nouveau?

De la psychologie spartiate

L’un des points forts de ce livre consiste en la présentation fine de ses personnages. Loin d’être une simple accumulation de scènes de vengeance, ce roman repose surtout sur la psychologie de ses protagonistes et sur les relations évolutives entre ceux-ci. Danny Ryan, le personnage principal, n’est pas membre du clan des Irlandais. Ainsi, celui-ci manœuvre en marge des Murphy et n’est accepté qu’en raison de son nom. Il ne sait donc pas vraiment pourquoi il se retrouve mêlé à tout cela.

Le choix de nous présenter un personnage externe au conflit interclanique s’avère donc astucieux: il offre au lecteur un point d’ancrage dans l’histoire sans pour autant lui donner une version biaisée des faits. On a peur pour Danny comme lui craint pour sa vie, et on se questionne sur les motivations tout comme lui remet en cause les actions des siens.

Le traitement de l’antique

Un autre axe abordé dans La Cité en flammes est la question de la transmission et de l’héritage. Le renouvellement du monde, poncif du récit de mafieux s’il en est, est ici traité par le prisme d’une perte de contrôle des aînés au profit des jeunes générations et de leurs nouvelles méthodes.

«Les temps changent, le coupe Bernie. On doit s’adapter. Sinon, on est des dinosaures…
Liam lui demande:
Qu’est-ce que tu reproches aux dinosaures?
Tu en vois autour de toi? réplique-t-il.»

Mais cette forme de récit laisse en réalité entrevoir un véritable rapport à l’écriture: comment perpétuer les récits antiques sans les plagier, comment les rendre abordables et les renouveler presque 3000 ans après leur écriture? A travers cette fuite en avant des nouveaux venus cherchant à tuer le père, ne serait-ce pas la volonté d’un écrivain souhaitant graver sa marque sur l’épitaphe de la littérature noire? Après sa trilogie sur les cartels, Don Winslow n’a plus rien à prouver en la matière; il ne lui reste alors plus d’autre choix que d’essayer de renouveler le genre en revenant aux fondamentaux. Son manque de rebondissements est peut-être par la même excusable: on connaît les classiques, à lui de les remodeler pour prouver qu’il est encore possible d’en extraire quelque chose.

L’émancipation par la violence

Une autre forme de développement des personnages passe par l’escalade de la fureur. On pense à Sal, ce tueur du clan italien, qui s’avère homosexuel et qui, pour empêcher toute analogie rétrograde par les siens, se cache derrière un mariage de convenance et une animosité sans bornes. Il est le tueur principal, celui qui peut faire pencher la balance dans cette guerre puérile. Relecture d’Achille, ce personnage deviendra le pivot adverse qui exécutera les basses œuvres et poussera les tensions jusqu’au point de non-retour. Don Winslow s’en sert comme nuancier d’un monde sans manichéisme où les bons se révèleront parfois affreux et où les opposants pourront faire preuve de clémence.

Plus question d’honneur et de loyauté, on tape là où ça fait mal et plusieurs fois si nécessaire. Ne subsiste alors que le déchaînement ridicule d’une guerre d’ego qui refuse de porter son nom, un conflit vieux comme le monde qui part des récits antiques pour arriver jusqu’à l’Amérique de Reagan. Aux années de récession, les personnages répondront par une violence ordinaire où il n’est pas surprenant d’aller plastiquer une voiture adverse, quitte à se tromper de cible, afin de ne laisser aucun terrain à l’autre.

Un renouvellement du genre?

Avec ce premier tome de sa future trilogie, Don Winslow nous propose de revisiter le genre épique par le biais d’un monde âpre et d’une écriture fluide et sèche comme un film de Coppola. Le câble se déroule sous nos yeux avec une vivacité et une simplicité qui nous ferait regretter de ne pas arriver à reproduire l’exercice. Si la méthode n’est pas nouvelle pour lui, elle est d’autant plus frappante ici que La Cité en flammes est un de ses romans les plus courts – et pourtant, nous ne pouvons que nous réjouir de voir se déployer une telle saga en si peu de pages.

Ecrire à l’auteur: mathieu.vuillerme@gmail.com

Crédit photo: © Kenneth C. Zirkel / Wikimedia Commons 

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Don Winslow 
La Cité en flammes 
Traduction de Jean Esch 
Harpercollins 
2022 
391 pages 

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