Les lettres romandes du mardi – Nicolas Jutzet
Le Regard Libre et ses lecteurs ont découvert Elisa Shua Dusapin grâce à son premier livre Hiver à Sokcho. Une rencontre relatée dans notre vingt-neuvième édition (juillet 2017). Entre temps, le livre s’est transformé en véritable succès, faisant de son auteur une promesse désormais attendue au tournant. Dernièrement, Elisa Shua Dusapin fut même l’invitée de l’Elysée, conviée au palais de l’Elysée par le président français Emmanuel Macron en présence de son homologue sud-coréen, Moon Jae-In. Que de chemin parcouru!
Le Japon, la Corée, un appel au voyage
Le deuxième roman d’Elisa Shua Dusapin, Les Billes du Pachinko, reprend les principaux éléments de son premier ouvrage. Le Japon prend la place de la Corée du Sud comme lieu de déroulement de l’histoire. On découvre, au fil des pages, la même plume légère qui nous permet facilement de nous glisser dans la peau de l’héroïne, Claire, une jeune femme partie passer ses vacances auprès des ses grands-parents maternels. Une Européenne en visite. On se surprend à rêver, sentir le Japon sous nos pieds, les odeurs particulières du crabe cuisiné à toutes les sauces et le gout du royal milk tea.
Le roman s’intéresse particulièrement à l’univers du Pachinko, sorte de croisement entre un flipper et une machine à sous, le tactilo japonais. Ayant fui la Corée, encore unifiée, pendant la guerre, les grands-parents de la protagoniste tiennent un établissement de jeux, centré sur le fameux Pachinko, dans la capitale. Ils profitent d’un avantage fiscal réservé aux étrangers; ils ne paient pas de taxes exorbitantes sur leur activité, qui reste mal vue par les autochtones, mais largement pratiquée.
On dit que le Pachinko tient son nom du bruit que font les billes dans la machine. Pétarade contre la vitre, chuintement dans les boyaux de plastique, cliquetis de plots, stridulation d’acier puis dernier choc dans le panier.
Le récit retrace plusieurs histoires, celle de l’éclatement de la Corée et l’exil forcé qui a suivi pour une partie des habitants, celle de la filiation de Claire, compliquée, ou encore celle, naissante, de la fille d’un professeur de français, Mme Ogawa, la revêche Mieko. Engagée pour l’aider à progresser dans la langue de Molière, Claire passe de longues journées à tenter de comprendre l’énigmatique jeune pousse japonaise. En avance sur les enfants de son âge, elle ne cesse de surprendre. Peut-être l’absence de son père porté disparu. Un ingénieur à succès, notamment du mondialement connu Shinkansen, ce train à très grande vitesse au museau acéré qui fait la fierté du pays. Les grands-parents de Claire ne s’intègrent pas vraiment dans leur nouvelle contrée mais ils travaillent, dur. Sans relâche. Ils ont dû fuir la Corée, mais semblent ne l’avoir jamais complètement quittée et ne jamais être arrivés au Japon.
Ils ne se mêlent pas à la communauté des Coréens du Japon, les Zaïnichis, déportés sous l’occupation japonaise ou exilés comme eux pour fuir la guerre de Corée.
Après ces longues années d’exil et une vie active éreintante, Claire souhaite emmener ses grands-parents revoir leur terre natale, désormais découpée en deux. Ils donnent leur accord, sans grande démonstration d’impatience. Un flegme à toute épreuve. C’est le fil rouge du récit. Elle devra se battre. Contre elle-même, contre son entourage.
J’aime le brouillard. Il m’empêche de voir loin. Il bouche l’horizon. Il donne l’impression qu’on a le temps, qu’on a le droit de ne rien voir. De ne rien voir venir.
Elisa Shua Dusapin
Les Billes du Pachinko
Edition Zoé
2018
144 pages
Crédit photo: © Pixabay
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