Les mercredis du cinéma – Fanny Agostino
Bientôt aussi populaire que les frères Bogdanoff, la fratrie Foenkinos récidive. La thématique «osée» et le casting prolifique de leur nouvelle comédie ne suffiront pas à émoustiller outre la curiosité du spectateur. Effleurant son sujet, ce catalogue de fantasmes sexuels ressemble aux prospectus des supermarchés: un choix de promotions sans once de liberté.
Les Fantasmes expose six histoires indépendantes. Chacune d’elle met en scène un couple – bourgeois ou en devenir – dont les pratiques sexuelles sont soudainement bousculées. Rompre avec la monotonie du coït, un besoin égoïste ou une pulsion de l’un des conjoints est à l’origine d’un désastre annoncé. Pas de continuité narrative pour ce film composé de sketchs d’une vingtaine de minutes. Tous exposent aux yeux du spectateur les problématiques qu’engendre l’excitation d’une situation particulière en miroir de la société qui la considère comme taboue et déviante. Ces fantasmes sont authentifiés à l’écran par une surimpression: la dacryphilie «être excité par les larmes», la sorophilie «désirer la sœur de son conjoint», la thanatophilie «l’attirance pour la mort», etc… Si la désignation renforce le caractère curieux et étrange de ces stimulants du désir, elle est aussi paradoxale pour le spectateur. Même frustrante; ces termes désignent une réalité qui ne sera malheureusement jamais approfondie à l’écran.
Ce qui compte, c’est la chute
Stéphane et David Foenkinos se donnent en effet l’air d’aborder un sujet qui aurait pu être intéressant, et qui n’est pas sans précédent. On pense à Michael Fassbender sous les traits d’un accro au sexe dans Shame (2011). Plus récemment et dans le même genre que notre comédie française, la série Sex Education dont la troisième saison s’apprête à être diffusée sur Netflix a démontré qu’il était possible d’évoquer le sujet avec finesse et sans compromis. Une prise de distance qui semble manquer à notre duo de réalisateurs. Les Fantasmes se contente de tourner autour du pot sans jamais prendre à bras le corps son sujet. Le corps-à-corps est maladroit, puritain. On l’explique par la difficulté pour le spectateur d’adhérer au film: une absence cruelle du sens du dialogue – Monica Bellucci termine toutes ses phrases par un mot en italien – et par un jeu d’acteur non crédible avec une mention spéciale pour Ramzy Bedia et Nicolas Bedos.
Mais il serait trop évident de désigner ces éléments comme seuls responsables de l’échec du film. Le vrai problème réside dans le fait que le cœur du sujet est noyé dans la structure moralisatrice des six fables. Tous ces sketchs finissent par une chute qui doit être comique. En vrac : le coup de l’arroseur arrosé, la crise existentielle, le transfert du fantasme en sadisme… Ainsi, ce qui aurait pu être un propos drôle et touchant est entièrement consacré à s’éteindre dans cette perspective: la fin justifie les moyens, aux dépens de la forme. Dommage, car ces mises en récit du quotidien permettaient un traitement multiple et une grande liberté du sujet. Il est ruiné par une énergie improprement employée. Les Foenkinos brassent de l’air.
Une affaire privée ou publique?
Quant au dernier couple présenté, celui-ci prend une importance particulière. Tout d’abord, il est campé par Jean-Paul Rouve et surtout Karine Viard, actrice déjà présente dans Jalouse, la comédie précédente des deux frangins. La comparaison ne s’arrête pas là puisqu’elle joue également le rôle d’une enseignante. Cette dernière fenêtre sur la sexualité est aussi différente par rapport aux précédentes. Elle est une mise en abîme du fantasme. Le couple est en effet habitué à se filmer pendant ses ébats. Malencontreusement – ou inconsciemment – le mari glisse en pièce-jointe d’un courriel une partie de jambes en l’air… La vidéo devient virale. Honte sociale, droit de contrôle de l’image, tension entre pratique incongrue et emploi de fonctionnaire… Toutes ces thématiques qu’auraient pu soulever cet incident sont ruinées par une pirouette.
Viard, après plusieurs réflexions, s’accommode de son nouveau statut. Alors qu’elle est effondrée, la voilà tout à coup prise d’un regain d’assurance grâce aux commentaires dont la vidéo fait l’objet. Les «t’es bonne» et «MILF» la poussent à changer de vie, pour devenir une star du porno. Morale de l’histoire: peu importe ce que les gens pensent, il faut vivre ses fantasmes aux yeux de tous. Or, ce fantasme n’a jamais été le sien, mais celui de son mari. L’écart entre réaliser des vidéos dans la sphère intime et réaliser des séquences professionnelles destinées aux yeux de tous les curieux est abyssal. Cette transition signe également la mort de l’intérêt du désir caché, cultivé dans l’ombre. Réalisé sur la scène publique, le fantasme n’en est plus un.
Que peut-on désormais espérer des Foenkinos? Pour parler le langage politiquement correct et pudique de leur long-métrage, peu de choses. Sinon que leur désir de cinéma se contente de s’épanouir dans la sphère privée.
Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com
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