Les lundis de l’actualité – Léa Farine
Le décret anti-musulman de Donald Trump, une occasion en or de dénoncer le manque souvent total de profondeur des débats sur l’islam, sur l’Etat islamique et sur le terrorisme. Le raisonnement du président américain: les terroristes commettent des actes atroces au nom de leur religion, donc cette religion est mauvaise, donc les musulmans sont dangereux, donc il est justifié de les maintenir à distance afin de protéger la population américaine. C’est facile, tellement facile qu’on peut appliquer le même canevas à n’importe quoi. Les croisades vers la terre sainte, par exemple, du XIe au XIIe siècle, entreprises guerrières menées au nom de la religion catholique, cette fois, avec un «leitmotiv» somme toute universel: convertir ou anéantir l’hérétique.
Or l’on devrait avoir compris, à force, que ce qui crée le conflit ne consiste jamais dans la forme particulière que peut revêtir tel ou tel dogme ou système de croyances. L’animal humain est capable de se montrer coopératif et bienveillant mais, quand les circonstances extérieures le permettent et sous l’influence de différents facteurs, il peut également être guidé par des réflexes tout ataviques de domination et d’extension de son pouvoir. Et l’histoire nous enseigne que quand un individu ou un groupe d’individus cherche à asseoir ce pouvoir de façon belliqueuse et au mépris de l’autre, d’une part, et qu’il a les moyens de le faire, d’autre part, les conséquences sont meurtrières.
Il n’y a donc pas de radicalisme essentiel à l’islam, et les valeurs portées par cette religion et par ceux qui la pratiquent ne sont en aucun cas particulièrement dangereuses. Il faut sortir du déni: nous sommes dangereux par nature, tous autant que nous sommes. Et sortir du déni revient à abandonner une analyse trop manichéenne et essentialiste qui, en se contentant d’opposer le dogme au dogme, alimente le feu du conflit.
Bien sûr, actuellement, nous avons un problème avec le terrorisme. Il est évident que nous ne pouvons pas fuir le conflit et il est évident également que les Etats doivent mettre en œuvre tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger leurs ressortissants. Cependant, il n’y a pas de réponse simple. On voudrait nous le faire croire. On voudrait nous faire avaler qu’interdire les musulmans, ou interdire les minarets, ou interdire le port du voile, ou combattre l’islam est efficace et nous le croyons volontiers, parce que le prix de telles solutions est faible. Elles ne nous coûtent rien, pas même une analyse approfondie. Pourtant, la guerre a toujours un prix.
Je laisserai de côté, dans cet article, les facteurs géopolitiques, faisceau d’influences complexes, qui ont mené à l’éclosion de cellules radicales, comme l’Al-Qaeda de Ben Laden, ou l’Etat islamique. D’abord parce que mes connaissances en la matière ne sont pas assez approfondies, ensuite parce qu’un tel examen, en soi, ne permet pas plus de lutter contre le terrorisme que le décret de Trump. Parlons plutôt des moyens: j’ai dit plus haut que l’extension d’une forme de pouvoir nécessite certains moyens – médiatiques, humains, politiques et, surtout, économiques. Comment l’Etat islamique finance-t-il ses activités?
Avec le pétrole, d’abord, soit directement par l’exploitation de puits situés sur son territoire, soit indirectement, avec des aides financières en provenance des pays du Golfe. Or, «aucun embargo réellement efficace n’est appliqué sur le pétrole extrait dans les territoires contrôlés par l’Etat islamique» et encore moins sur celui des pays du Golfe. Ensuite, avec les rançons versées par différents Etats pour récupérer leurs otages. Enfin, par la mise en vente sur le marché noir international des trésors archéologiques récoltés lors des pillages et achetés par de riches collectionneurs étrangers. Tout cela, c’est l’article «Etat islamique, ses cinq sources de financement» du magazine Bilan et daté du 2 octobre 2014 qui nous l’apprend.
Il me semble dès lors qu’un embargo sur le pétrole, bien que politiquement et économiquement coûteux, pourrait, par exemple, constituer une solution plus efficace de lutte contre le terrorisme qu’un décret anti-immigration. L’état d’urgence décrété en France lors des attentats perpétrés récemment est également une solution efficace, qui a pourtant un prix. Or, même si cela nous semble injuste, ce prix, nous devons le payer, comme nous l’avons d’ailleurs fait payer à nos ennemis, dans d’autres circonstances, à d’autres époques. En centrant le débat sur l’islam, tant les islamophobes que ceux qui les combattent se créent un confortable écran de fumée en noir et blanc dissimulant la réalité.
Car oui, nous sommes en guerre, oui, nous sommes assez impuissants, pour le moment, face à la forme plutôt inédite du terrorisme de l’Etat islamique en regard des conflits auxquels nous sommes habitués. Est-ce à dire que nous ne le vaincrons pas? Je ne pense pas. Je crois que, même si cela a un coût, nous finirons par venir à bout de ce conflit. Mais si nous persistons dans le déni, si nous continuons à entretenir de vieux schémas manichéens, basés sur l’opposition constante de valeurs élevées au rang de dogmes, alors il y en aura d’autres. Il y en aura toujours. Je ne crois pas au progrès moral de l’humanité. Nous ne sommes pas suffisamment intelligents, et trop belliqueux par nature, pour éviter la guerre, pour éviter les troubles. Cependant, si nous pouvions, au moins, arrêter de croire aux issues faciles, nous ferions déjà un important petit pas de souris.
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