Primé au Festival de Locarno, le nouveau film de Delphine Lehericey s’éloigne du drame pour nous offrir une comédie sensible sur le deuil et la reconstruction. Last Dance parvient-il à trouver son équilibre entre rires et larmes?
Germain (François Berléand), septuagénaire misanthrope et morose, perd subitement sa femme. Pour tenir une promesse, il s’inscrit en secret dans la troupe de danse contemporaine de Maria Ribot à laquelle sa défunte compagne participait. C’est un nouveau monde que Germain découvre, où l’expression du corps est au cœur de toutes les libertés.
Un film dépouillé
Disons-le tout de suite: Last Dance n’est ni un film ambitieux ni un film inoubliable. Pourtant, il comporte un certain lot de propositions louables qui en font une œuvre qui mérite qu’on y consacre une heure trente.
Passons rapidement sur sa mise en scène qui privilégie la discrétion et laisse la place aux interprètes pour s’exprimer. Cette discrétion se change malheureusement trop souvent en actes manqués, en particulier lors des scènes de danse contemporaine où tout est à inventer. On aurait pu être créatif, expérimenter, tordre le moyen d’expression en s’émancipant des codes, à l’image de la danse contemporaine. Sur cet aspect, Last Dance est désespérément trop sage.
Plus frappant et plus original, son scénario, réduit à une trame narrative aussi simple que possible. Le film multiplie les perspectives sans jamais tâcher de les transformer en enjeux: les conflits avec la famille ne sont que des petits malentendus sans conséquence et résolus en un rien de temps. Le décalage entre Germain et le milieu qu’il intègre s’envole immédiatement face à la bienveillance générale des personnages. Même la représentation que la troupe prépare n’est jamais qu’un accomplissement qui ne demande ni tensions particulières ni sacrifices. Tout est servi sur un plateau. Last Dance cherche avant tout à être agréable – trop agréable – et sacrifie pour cela ses enjeux, ses drames et même la difficulté que peut incarner le deuil.
Cinéma et danse contemporaine
Cette simplicité peut facilement faire passer Last Dance pour un film pauvre. Pourtant, ses faiblesses peuvent, avec un peu de bonne foi, apparaître comme des qualités. Que faire de ces enjeux qui seront surmontés une énième fois? Pourquoi s’encombrer de conflits qui finiront irrémédiablement par se résoudre?
En cela, le film prend exemple sur son sujet: la danse contemporaine, orchestrée ici par Maria Ribot. Le corps est pensé comme un objet qui cherche à s’exprimer; il est vivant et dirigé par une volonté intérieure et non extérieure. C’est-à-dire qu’il exprime la volonté de celui qui le possède et non la volonté d’une chorégraphie froide et calculée. Le film se révèle alors malin: notre papy bougon, qui s’exprime peu sur son deuil et qui apparaît physiquement fatigué, se retrouve contraint d’extérioriser ses émotions à travers son corps. C’est ainsi que, petit à petit, il se réapproprie sa vie, son corps, et fait son deuil.
L’inaccessibilité du monde de la danse contemporaine est une métaphore du saut dans l’inconnu d’une vie nouvelle pour Germain. Une vie sans sa femme, marquée par le deuil, aux objectifs flous, mais qui doit être investie d’un sens nouveau s’il veut échapper à la dépression. La danse contemporaine est aussi l’outil permettant à Germain de se reconstruire. La métaphore est non seulement maligne, mais elle s’intègre plutôt efficacement à la comédie populaire que souhaite être Last Dance. Seul regret possible, la fréquente mise à l’ombre des moments dramatiques au profit de la volonté de faire rire: le spectateur a l’injonction de passer un bon moment devant un film sur le deuil.
Reste que si nous avons accusé le film de présenter peu d’ambitions, nous devons lui en reconnaître une: celle de porter à l’écran, dans une comédie grand public, le monde parfois très fermé de la danse contemporaine. Le choix paraît ainsi judicieux de rendre le film accessible à tous sur un sujet qui ne l’est pas. On peut toutefois regretter de ne pas profiter d’une incursion un peu plus poussée dans cet univers. Demeurant avant tout un outil au service de la narration du personnage de Germain, cette exploration de la danse contemporaine reste trop en surface. Mais la démarche est déjà estimable et inviter Maria Ribot à incarner son propre rôle renforce le sentiment de bienveillance que le film cherche à développer envers son sujet.
En parlant de deuil et de danse contemporaine sur le ton de la comédie, Last Dance se devait de faire des choix pour être accessible. Ce pari est réussi, même si cela peut nuire à sa qualité de mise en scène et à la construction d’enjeux volontairement superficiels. Pourtant, le résultat débouche sur film propre de son sujet, car vivant, cherchant à s’exprimer à l’écart des codes imposés par le scénario classique. Un film dont la modestie lui sied.
Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com
Last Dance © Outside the Box
Vous venez de lire un article en libre accès. Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Toutes les images: Last Dance © Outside the Box