Raconter la reconstruction d’un solitaire en mauvaise santé sur fond de questionnements relatifs à l’adoption et l’identité. Le tout en une centaine de pages stylées, un brin piquantes. C’était le pari de ce roman. Qui eût douté qu’il serait relevé avec brio par son auteure?
Elle est une Genevoise née à Séoul, adoptée par une famille suisse quand elle était encore très jeune. Lui est un Français adopté lui aussi, d’origine également coréenne. Elle a une cinquantaine d’années, lui un peu moins, quoiqu’on l’imagine nettement moins en forme, avec son mode de vie négligé, entre jeux vidéo et malbouffe. Elle, c’est notre chère Laure Mi Hyun Croset, et lui, cet anonyme comme tant d’autres sous la plume de l’écrivaine, le protagoniste de son nouveau roman, Made in Korea. Le jour où il apprend qu’il a du diabète, il décide de partir découvrir son pays d’origine pour y pratiquer par la même occasion un art martial et profiter d’une alimentation plus saine.
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Nous avions notamment aimé la satire de son roman Le beau monde publié chez Albin Michel en 2018, la causticité du dernier arrivé Pop-corn girl en 2019, voilà que nous pouvons à nouveau dire du bien de cette styliste littéraire qui se distingue sur la scène helvétique.
Derrière la légèreté apparente de ce roman se niche un travail d’orfèvre qui se voit récompensé lors de la lecture. Dans un texte habituel, les chutes arrivent à la fin des chapitres, éventuellement des paragraphes. Chez Laure Mi Hyun Croset, elles débarquent à la fin de chaque phrase, voire au contour de chaque mot. La langue est ciselée ; la structure du récit n’est pas en reste. Et l’ironie caractéristique de l’auteure n’est jamais loin, dévoilant à partir d’un cas désespéré et hyperbolique nos propres paradoxes.
«Il se réveilla sans avoir vu de film ni l’approche des côtes coréennes. Les single malts qu’il avait enquillés, pour faire baisser l’angoisse de son premier vol long-courrier, lui avaient fait manquer la quasi-intégralité du voyage. (…) Il ne regretta pas de n’avoir pas regardé de film. Cela constituait le début d’une détoxication numérique. Cependant, il aurait aimé voir à quoi la Corée ressemblait vue du ciel. Il songea qu’il pourrait toujours se rattraper avec Google Earth.»
La malice de la voix narrative lui permet aussi de nous emmener vers des réflexions plus profondes :
«A peine était-il installé qu’une main tapait sur son épaule, depuis le siège derrière lui, en répétant oksusu. Il sortit son porte-monnaie pour donner une piécette, ce qui serait bon pour son karma. Il venait de changer de l’argent, et on lui avait remis une énorme liasse de billets et un peu de monnaie. Il se sentait plus riche que jamais. La main, très soignée, appartenait à une ravissante jeune femme, la plus jolie qui se soit jamais adressée à lui. Elle lui tendit un épi de maïs bouilli. Ce n’était pas ici qu’il allait jeûner, mais si tous les aliments étaient aussi légers, il ne prendrait pas un gramme. Il crut d’abord que cette gentille attention était due au fait qu’il était étranger, quand il se souvint que, bien qu’il soit français, sa tête était celle d’un Coréen.»
Pour écrire Made in Korea, Laure Mi Hyun Croset a lu des dizaines d’essais et romans ayant trait à ce pays. Lire ce roman, c’est donc en lire plusieurs ! Et découvrir un peu ces contrées. En plus, l’ouvrage se boit comme un shot de Soju. Expérience faite et approuvée.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique tirée de édition papier (Le Regard Libre N°100).
Laure Mi Hyun Croset
Made in Korea
Editions BSN Press & OKAMA
août 2023
107 pages