Le Regard Libre N° 9 – Vincent Gauye
Son nom évoque sans conteste son origine. En effet, il fut érigé à l’emplacement d’une fabrique de tuiles, en 1564, par Catherine de Médicis. Il est intéressant de constater qu’il fut bâti face à la puissante forteresse du Louvre, alors bien éloignée de l’architecture de celui que nous connaissons. En effet, loin des larges baies, ouvertes sur Paris, ce sont d’austères courtines de moellons et de hautes tours étroites et sinistres qui le composent. Imaginons la réaction de Catherine de Médicis face à cet ouvrage au raffinement déplorable, elle qui descend de Laurent le magnifique, mécène des arts et de la Renaissance, éloignée depuis des siècles de l’austérité médiévale.
Elle s’en vient à Paris pour épouser le futur Henri II, elle quitte la Renaissance pour le Moyen-âge. En effet, si François 1er règne encore en ces temps-là et déploie déjà, le long de la Loire, les grâces de la Renaissance, Paris demeure médiévale, cloîtrée derrière ses longs et froids remparts de pierre grise. Ma foi, malgré la montée de son époux sur le trône, il faudra attendre la fin de sa régence (1563) pour voir les premiers projets du Palais des Tuileries aboutir.
Notons toutefois la réfection d’une aile du Louvre par François 1er en 1546, qui va inspirer le style de ce palais, par souci d’homogénéité. Ce sont Philibert Delorme puis Jean Bullant qui le bâtissent. Le plan était bien plus ambitieux et comportait de nombreuses arrière-cours qui laissèrent place à une structure bien plus simple, mais d’une élégance sans bornes. Un pavillon central abritait alors un somptueux escalier de marbre, à bien des égards le plus beau de son temps et le plus fastueux. Ce pavillon était prolongé par deux ailes, dont l’une termi-née par le pavillon Bul-lant datant de 1570.
Henri IV, dès 1607, débuta la construction d’une longue aile qui reliait le pavillon Bullant au complexe du Louvre, alors en cours de métamorphose Renaissance. Cet impressionnant prolongement, abritant une longue Galerie, fut nommé « Le Grand Dessein ». Louis XIII et Louis XIV enrichirent le Louvre de cours et de nobles façades jusqu’au départ de la cour à Versailles. Les immenses travaux cessèrent et les Tuileries, aussi bien que le Louvre, furent délaissées progressivement. Mais ce n’est pas seulement ce départ qui freine les ambitieux projets alors en cours, mais bel et bien cet amas d’habitations qui semble séparer indéfiniment le Louvre des Tuileries.
Si le Louvre depuis Philippe-Auguste jusqu’à Louis XIV, et Versailles, depuis ce dernier jusqu’à Louis XVI, furent les résidences Royales officielles, Les Tuileries y succédèrent, dès 1789, avec le retour de la famille royale à Paris.
En 1792, le Palais fut investi par la foule, massacrant les gardes suisses et pillant le royal logis. L’on y installa la Convention en 1793 puis le premier Consul Napoléon 1er. Ce dernier, avide de prestige et de grandeur, perçut cet ensemble royal non comme abouti, mais comme un défi qui devait asseoir et légitimer son pouvoir. En symétrie au « Grand Dessein » d’Henri IV, il fit débuter une longue galerie et rasa le quartier qui faisait obstacle à l’unité Louvre-Tuileries.
C’est seulement sous le Second Empire (Napoléon III) que ces deux palais royaux ne firent plus qu’un. Ainsi terminé, le château impérial se compose comme suit : à l’ouest, une grande cour rectangulaire, fermée par les tuileries et encadrée par les longues ailes du « Grand Dessein » ; à l’est, à l’emplacement de la forteresse primitive, une cour carrée.
Aujourd’hui, l’on ne parle plus que du jardin des Tuileries, et la cour ouest s’ouvre sur ces derniers. Mais qu’en est-il des Tuileries ? Où est donc passé le palais renaissance de Catherine de Médicis, d’Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis XVI et de Napoléon ?
Reprenons. À la chute du premier Empire, le frère de Louis XVI, le Roy légitime de France, Louis XVIII, Comte de Provence, restaure la monarchie en France. Ce dernier s’installe aux Tuileries. C’est de là aussi que règnera Charles X, troisième frère du malheureux Roy. C’est en ce même palais que naîtra en 1820, de la téméraire Duchesse de Berry, Henri d’Artois, Comte de Chambord. De Palais Impérial, il devint ainsi Palais de la Restauration. Mais avec la révolution de 1830, il fut à nouveau pillé.
En 1831, pour légitimer son pouvoir, à l’exemple de Napoléon 1er, Louis-Philippe s’installe aux Tuileries, alors vandalisées. Il y fait de nombreuses réfections, mais sa chute conduit à un troisième et inévitable pillage. Encore heureux qu’il ne fût point incendié. En effet, il y eut une dispute entre deux partis. Les uns prônaient son pillage pour enrichir le peuple, et les autres sa destruction pour effacer les « maux » qui y avaient régné.
La venue de Napoléon III en 1852 redora le blason de cette maison et vit le projet voulu par Henri IV achevé. Balançant entre Restauration et Empire, ce Palais aura toujours été auréolé d’une aura de prestige et d’anti-révolution.
Que pensait un révolutionnaire convaincu, de l’Empire et de la Restauration ? C’était pour lui une évidence : l’échec de la Révolution, un passé absolutiste à éradiquer ! Quel objet représentait le mieux cet échec ? Les Tuileries, assurément ! De là, il ne restait plus qu’à porter la coupe aux lèvres. Mais pour ce faire, il fallait le pouvoir. Ce pouvoir, ils l’eurent à la chute du Second Empire, au lendemain de la défaite de Sedan et de l’invasion prussienne. La France eut tôt fait constituer la Commune, assemblée aux relents révolutionnaires absolus. Durant deux mois, Paris vécut une « reconstitution historique » des déboires de la Révolution. C’est à l’issu d’une réunion abjecte de ces mécréants, le 23 mai, que l’on vit le royal monument être la proie aux flammes de l’enfer révolutionnaire ; que l’on vit ce dernier membre de pierre à demeurer en vie s’éteindre à jamais !
Ceux qui avaient triomphé en 1848 s’effaçaient devant les misérables pyromanes. On l’avait pillé et brûlé ! Que dire de l’émotion des Parisiens lorsque l’on vit ses structures noircies par les flammes s’effondrer à leur tour dans un vacarme puissant et dans une poussière absolue ? Quelle fut la pensée d’Henri V à voir son peuple détruire sa demeure qui lui semblait pourtant si proche ?
« Les pierres du château étaient à peine refroi-dies quand, le dimanche 2 juillet, un fiacre traîné par un cheval étique, s’arrêtait à l’angle de la rue de Rivoli et du pavillon de Marsan et, sans mettre pied à terre, un homme, du fond de la voiture, considérait, les yeux gros de larmes, les murs calcinés. C’était le comte de Chambord, — le petit duc de Bordeaux d’autrefois, — dont, un demi-siècle auparavant, les salves, les cloches, les vivats avaient salué la naissance. « Oh ! disait-il à son compagnon, voilà les deux fenêtres de ma chambre ; voilà celle au bas de laquelle étaient mes jouets : une tente de campement, des tambours, de grands soldats de plomb ! Voici la fenêtre du cabinet où mes professeurs me donnaient des leçons ; ici, était l’appartement de ma mère… et plus loin, celui où logeait le roi, mon grand-père… Tenez, mon ami, allons-nous-en ; je souffre trop ; allons-nous-en ! »
Extrait de Les Tuileries fastes et maléfices d’un palais disparu, G. Lenotre
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