François Ozon est de retour avec Eté 85. Après Grâce à Dieu où il dénonçait la pédophilie dans l’Eglise, film précédé du thriller psychologique L’Amant double et tant d’autres œuvres importantes, le réalisateur français se plonge dans sa propre adolescence, celle des années quatre-vingt. Un contexte à l’aide duquel le cinéaste nous livre le récit d’une nouvelle, belle et sexuelle amitié qui se solde après six semaines par un drame. Bienvenue dans un grand film véhiculant quelques stéréotypes, mais surtout beaucoup d’intelligence et de cœur.
Il a l’art des images. C’est plutôt une bonne chose pour un cinéaste. François Ozon a habitué son public à une haute qualité artistique à force de films frôlant la perfection formelle tout en étant grand public. Eté 85 devait donc être à la hauteur; il l’est. Incontestablement enchanteur, incontestablement beau, il suit la lignée des précédents films tout en ayant la singularité de ne pas être très surprenant. Une romance estivale où un jeune homme se lie d’amitié, puis un peu plus, avec un autre jeune homme qui est très charmant, mais très charmeur… on sait comment tout cela va finir. D’autant qu’on est mis tout de suite dans l’ambiance – c’est le personnage principal, Alexis (Félix Lefebvre), faisant écho à Ozon adolescent, qui prend la parole pour nous avertir: si nous n’aimons pas la mort, ce film n’est pas fait pour nous.
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Evidemment, l’histoire de ce cadavre, dont Alexis nous prévient à la première minute du film qu’il est celui d’une personne qu’il a aimée passionnément, ne sera pas exactement celle à laquelle on s’attend. Le schéma général est néanmoins connu: l’amour qui entraîne la lassitude, la lassitude qui entraîne la trahison, la trahison qui entraîne la tragédie, la tragédie qui entraîne la mort. Sans oublier une forme de triangle amoureux, sinon ce ne serait pas drôle. Mais tout le génie de François Ozon est de nous servir quelque chose de tout à fait différent de ce qu’il a pu faire auparavant, en se servant de l’éternel couple Eros et Thanatos (amour et mort) et du phénomène le plus banal qui soit (le chagrin d’amour) pour nous emmener dans un mélodrame nostalgique où l’art apparaît comme unique salut.
C’est en effet par flashbacks que le film procède, ce qui ajoute à la dimension rétro de ce dix-neuvième long-métrage d’Ozon, et c’est l’écriture d’un récit qui va sortir Alexis de sa peine. Eté 85 lui-même a beaucoup à voir avec la littérature: il s’agit en fait d’une adaptation de La Danse du coucou (Dance on my Grave) d’Aidan Chambers, qui avait marqué le réalisateur quand il avait l’âge de dix-sept ans. Le cadre temporel du film se comprend donc comme une période à part, un peu hors du temps, sur laquelle Ozon repose son regard sans la phantasmer. Au contraire, avec l’omniprésence de la mort comme trame de fond, ce film fait écho au traumatisme qui fut vécu par toute une génération avec l’épidémie de SIDA, très présente aussi dans les dernières œuvres de l’écrivain Philippe Besson.
Mais si le film est beau bien que sombre, c’est grâce au grain rendu par le tournage en pellicule. C’est aussi dû à la bande-son vintage qui compte sur The Cure et Ecran Total 80 notamment. C’est enfin et surtout le fait de la beauté de David (Benjamin Voisin), aussi énervant que fascinant. A la beauté de ses habits eighties, de son aisance et de sa répartie. Le film aurait pu se baser sur ce personnage, mais il met plutôt en lumière, du point de vue d’Alexis, l’opposition entre les deux garçons, dont on se demande si elle peut être une complémentarité. Tandis qu’Alexis aime les êtres (personnes ou entités abstraites), David aime les événements, les activités. Une opposition profonde, qui survient sur leurs différences plus flagrantes et qui signera le début de la fin. Dans une ambiance où, sous le patronage de James Dean, vivre sa vie jusqu’au bout revient à s’avancer vers la mort. Fureur, quand tu nous tiens.
On notera le stétérotype de la famille juive commerçante, celui du bisexuel égoïste se jouant de ses partenaires et celui de l’excentricité comme conséquence d’un père décédé et d’une mère possessive, voire incestueuse. Mais ces clichés ne déservent pas le film; ils accentuent au contraire la facilité avec laquelle on entre dans un moment magique, quoique tragique, et attirent l’attention sur le caractère construit des fictions, comme moyen de se rappeler la réalité – et de lui donner un sens. Eté 85 s’accueille à l’arrivée comme un film qui comptera dans la carrière d’Ozon et qui appelle dans tous les cas une virée incontournable dans les salles obscures.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Filmcoopi