Les mercredis du cinéma – Thierry Fivaz
Le 21 juillet prochain, les États-Unis célébreront un jubilé particulier: celui des premiers pas sur la lune de Neil Armstrong. Une épopée historique que Damien Chazelle a décidé de porter à l’écran. Mais alors que le cinéma de science-fiction tend à banaliser les vols spatiaux, First Man nous rappelle que la réalité se situe encore à des années-lumière de la fiction. Soulignant d’autant plus l’exploit qu’accomplirent les astronautes de la mission Apollo 11.
Avec First Man, Damien Chazelle (Whiplash, La La Land) livre un film particulièrement étonnant. Et à plus d’un titre. En choisissant d’adapter la biographie de l’astronaute américain (First Man: The Life of Neil A. Armstrong de James R. Hansen, 2005), Chazelle tient là un scénario rêvé. Car parmi les nombreux exploits réalisés par les hommes, marcher sur la lune possède une saveur singulière. Evénement majeur dans la conquête spatiale, cet exploit illustre à la fois le génie humain et le courage de quelques hommes. Mais justement, ces navigateurs de l’espace, ces fous, ces héros, qui sont-ils? Et comment se prépare-t-on à un tel voyage? Autant de questions auxquelles First Man tente de répondre.
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Boîtes de conserve volantes
En pleine guerre froide, alors que l’URSS semble dominer les États-Unis dans la course à l’espace, le succès de la mission Apollo 11 permet enfin aux Américains de devancer leur rival soviétique. Mais le prix à payer pour fouler le sol lunaire est lourd de conséquences, et c’est sur quoi insiste First Man. Soulignant les nombreuses pertes humaines de même que les accidents, Chazelle prend plaisir à montrer que les technologies déployées à l’époque par la NASA étaient encore balbutiantes et archaïques (comme l’illustrent les nombreux plans sur les instruments de bord avec leurs aiguilles qui s’agitent dans tous les sens). En soulignant la précarité et la fragilité des moyens à disposition, First Man permet de mesurer l’ampleur du succès de faire arriver sur la lune de telles boîtes de conserve.
Figurant parmi les scènes les plus frappantes du film, l’alunissage du module lunaire de même que les premiers pas sur la lune demeurent particulièrement intenses. Dans un silence assourdissant et des images léchées, Chazelle nous montre (en omettant le planté de drapeau américain) ce que beaucoup virent avec stupéfaction le 20 juillet 1969. L’exploit fascine, car il permet de faire état de l’insignifiance humaine.
Un personnage lunaire
Et puisqu’on ne change pas une équipe qui gagne, c’est à Ryan Gosling (La La Land, Blade Runner 2049) que Chazelle confie la lourde tâche d’incarner le rôle principal: celui de Neil Armstrong. Chemisette à carreau boutonnée jusqu’en haut, la dégaine d’ingénieur sied parfaitement à Gosling et illustre encore une fois que l’acteur n’hésite pas à sortir de sa zone de confort. Mais au-delà de l’apparence, le personnage à incarner se montre particulièrement complexe. Une complexité que Gosling parvient également à communiquer.
Car si le succès de la mission Apollo 11 conféra à Armstrong une notoriété mondiale pour le restant de ses jours, un autre événement marqua – et sans doute davantage – son existence. La perte tragique de sa fille Karen alors âgée de trois ans. Un événement horrible dont on sent qu’Armstrong ne se remit jamais. Pas étonnant donc que First Man s’ouvre sur cet épisode particulièrement douloureux pour le couple Amrstrong. Une blessure si intense qu’on en vient à se demander si elle n’est pas responsable du détachement dont fait preuve l’astronaute; qui, tel un surhomme, est d’un calme olympien en toutes circonstances.
Détaché, laconique, mais pas nécessairement froid, Armstrong est concentré sur sa mission. Ainsi, lorsqu’en conférence de presse, à la vieille du départ, des journalistes demandent aux trois astronautes (Armstrong, Aldrin et Collins) ce qu’ils souhaiteraient prendre avec eux sur la lune, Aldrin répond qu’il prendrait bien un bijou appartenant à sa femme. Armstrong, quant à lui, répond froidement qu’il souhaiterait prendre davantage de carburant. Si cela relève de l’anecdotique, cela permet d’éclairer quelque peu la personnalité du célèbre astronaute.
The First Man and his Woman
Il se dégage de First Man un étrange sentiment. Si Chazelle multiplie les plans subjectifs, nous donnant ainsi une idée de «l’effet que cela fait» (particulièrement angoissant) d’être étriqué dans un engin spatial, impossible de s’identifier à Armstrong. Et le réalisateur le sait. Trop courageux, trop calme, trop distant, trop détaché, l’astronaute est une sorte d’extra-terrestre dans lequel nous ne pouvons nullement nous reconnaître. Un commandant Spock – en apparence seulement – qui voit ses collègues et amis mourir les uns après les autres, mais qui pourtant ne se défausse pas. En somme, la caméra de Chazelle nous montre ce que voit Armstrong, à défaut de pouvoir véritablement le cerner. Car l’astronaute est ailleurs.
Pas étonnant que le réalisateur insiste beaucoup sur la relation entre Niel Armstrong et son épouse Janet (Claire Foy). Résignée à l’idée de faire renoncer son mari à ses rêves spatiaux, Janet est le seul membre du couple que nous pouvons comprendre et auquel l’identification demeure possible. Et l’épouse de l’astronaute témoigne d’une force extraordinaire. Ayant déjà perdu un enfant, elle doit accepter la possibilité de perdre l’homme qu’elle aime. Un homme hors du commun que la vie a peut-être déjà terrassé et qui ne craint donc plus rien, pas même la mort.
Ecrire à l’auteur: thierry.fivaz@leregardlibre.com
Crédit photo: © Universal Pictures