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Critique

«Furiosa: Une saga Mad Max», la traversée du désert6 minutes de lecture

par Jordi Gabioud
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«Furiosa: Une saga Mad Max» (2024) de George Miller se distingue de la plupart des films post-apocalyptiques.

Le dernier film de George Miller rejoint la longue liste des échecs au box-office de son réalisateur. Pourtant, comme bien d’autres, il ne tardera sans doute pas à être réhabilité. Retour sur les fondations d’un mythe à l’univers foisonnant.

Cette nouvelle épopée nous présente la légende de Furiosa (Anya Taylor-Joy), enfant arrachée de la terre verte et secrète des Vuvalini par une horde de motards errants. Elle alimentera immédiatement une haine contre leur guide, le charismatique Dementus (Chris Hemsworth), un homme obsédé par l’idée de façonner sa propre gloire. Rapidement, leur chemin les mènera à la citadelle d’Immortan Joe (Lachy Hulme), conduisant les clans à une guerre au milieu de laquelle Furiosa devra se démarquer pour survivre. 

Des histoires de détails

On se souvient du postulat aussi basique qu’efficace de Mad Max: Fury Road. George Miller fait le choix ici de ne pas chercher à réitérer l’exploit en prenant à contre-pied la démarche opérée presque dix ans auparavant. Son récit se déroule sur plusieurs décennies et déploie un univers d’une prodigieuse richesse. Au milieu de ce gigantesque désert, la moindre vie est habitée d’une histoire qui mérite notre intérêt.

C’est pourquoi chaque personnage, qu’il soit héros ou figurant, porte sur lui son propre récit. Le film nous le montre à travers les costumes, les déformations des corps, les outils ou les véhicules personnalisés. Lorsque George Miller filme le dialogue entre deux protagonistes, il occupe systématiquement le cadre de figurants gesticulants, rappelant inlassablement l’existence de tout cet univers au spectateur. Face à la mort omniprésente, le réalisateur rend ce monde vivant et chargé d’histoires. Des histoires que chaque individu souhaiterait raconter.

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La démarche de George Miller est explicite: tous ces récits que les images nous donnent à entrevoir sont portés physiquement à l’écran par l’Homme-Histoire (George Shevtsov), un vieux sage qui accompagne le film de sa voix off. Il laisse l’action se dérouler, mais attire inlassablement le regard du spectateur, même caché dans l’arrière-plan. C’est qu’il faut mentionner son aspect: ses habits et son corps sont couverts d’écritures. Ce personnage réduit à la charge de la voix off témoigne pourtant d’une idée centrale pour comprendre comment apprécier le film, et le cinéma en général: le récit se raconte par le regard.

Contre Avatar et autres blockbusters

Il est curieux de remarquer que certaines critiques s’arrêtent à ce constat sans chercher à interpréter ensuite ces images. Que nous raconte Furiosa: Une saga Mad Max? En se posant cette question, on réalise alors le décalage que représente le film face aux blockbusters d’aujourd’hui, le modèle Avatar en tête. 

Avatar: la voie de l’eau (2022) nous montrait une nature amicale au sein de laquelle les personnages s’adaptaient pour en faire un avantage contre leurs adversaires. L’univers devenait autant un allié des personnages qu’un idéal à protéger. Dans Furiosa, la nature a disparu et l’univers est un désert aussi vaste que mortel. Tout personnage lutte pour sa survie. Dans son rapport au monde, Furiosa se démarque ainsi fortement de la plupart des blockbusters actuels. Les superhéros de licences protègent la planète du moindre déséquilibre. Les agents secrets James Bond et Ethan Hunt sont animés par les mêmes impératifs. Barbie (2023) comme Oppenheimer (2023) ont construit le cœur de leur intrigue sur le risque de ne plus être en harmonie avec leurs univers. Heureusement, Barbie finit par chasser le patriarcat, et Oppenheimer récupère son accréditation. 

C’est là que Furiosa trouve toute sa bienvenue unicité. Son univers mortel permet au film de créer un nouveau rapport entre individus. Les autres blockbusters constituent des communautés pour protéger le monde. Ici, elles sont formées pour s’en protéger. Le monde devient le principal adversaire de nos personnages. On pourrait objecter que c’est la distinction propre du monde postapocalyptique. Après tout, il est possible d’appliquer ce constat à Matrix ou La Planète des singes. Mais ni l’un ni l’autre ne se passent dans un désert.

Un désert comme reflets

Depuis ses débuts en 1979, la saga Mad Max nous montre le désert remplir petit à petit cet univers jusqu’à ne laisser aucune trace du passé. C’est tout le contraire du choix d’autres films postapocalyptiques, très ancrés dans leur actualité. Mad Max en fait table rase et mène à un constat plus radical encore: le désert aride de son monde est le reflet du désert moral de ses personnages. 

Dans Furiosa: Une saga Mad Max, il s’agit de survivre. La vie de chacun ne tient qu’à ses compétences. Les communautés ne se maintiennent qu’artificiellement, car elles ne sont que des amas d’individus aux personnalités bien distinctes. Les relations sont orchestrées par des trahisons, des supplications ou même de l’esclavage. Dès lors que la morale disparaît, les seules figures cherchant à rétablir un ordre communautaire deviennent paradoxalement les figures antagonistes du récit: Dementus et Immortan Joe.

Dans un monde où les ressources ne sont pas assez nombreuses pour tout le monde, ces personnages vont chercher à être privilégiés en construisant un mythe autour de leurs personnes. Il ne s’agit plus de compétences, mais de croyances. Pour s’élever, chacun écrit sa propre version de l’histoire, attirant à eux les plus démunis en quête d’espoir. L’unique personne qui cherche à échapper au désert, c’est Furiosa. Elle devient ainsi l’Histoire, car elle est la seule qui ne pervertit pas l’espoir des autres.

Les occasions de découvrir un univers aussi riche et cohérent sont rares. Furiosa: Une saga Mad Max parvient à créer un mythe originel autour duquel gravite une grande réserve de légendes. Sur la base du nihilisme de son monde, il multiplie les pistes pour trouver du sens et de l’humanité. Il ne s’agit plus de sauver un monde déjà détruit, mais de fuir, et dans la fuite, réserver les quelques places disponibles dans le camion à ceux qui croient encore à un ailleurs possible. Ainsi seulement peut commencer la longue traversée du désert.

Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com

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