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Films

Critique

L’acte manqué de la réalisatrice Anne Fontaine6 minutes de lecture

par Aude Robert-Tissot
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Bolero d'Anne Fontaine (2024)

Son dernier film nous immerge dans le processus créatif du célèbre Bolero de Maurice Ravel. Malheureusement, elle relègue Misia Sert, surnommée la reine de Paris, au simple rôle de muse. Une interprétation décevante qui ternit ce biopic.

Célèbre pour sa mélodie simple et répétitive, un mouvement de danse au tempo invariable, la mélodie de cette œuvre est uniforme et répétitive durant 17 minutes. Sa révolution tient des seules variations d’orchestration; un crescendo graduel, révolutionnaire, en mi majeur. Si cette description n’évoque rien à la lecture, écouter les premières notes suffit à fredonner un air au succès international, le Bolero de Maurice Ravel, créé en 1928.

Maurice Ravel, compositeur de génie, n’a cependant pas toujours fait l’unanimité. Le film d’Anne Fontaine s’ouvre sur les échecs répétés au prix de Rome du jeune pianiste, malgré la renommée de ses compositions. Ces refus n’arrêteront heureusement pas l’homme brillant et rassuré par sa mère (Anne Alvaro): «les jurys le regretteront», dira-t-elle. Nous sommes dans les années 1920. C’est l’avant-garde artistique et Paris foisonne de compositeurs plus talentueux les uns que les autres, tels que Stravinsky, Debussy, Satie.

Un rôle authentique

Interprété brillamment par Raphaël Personnaz, lui-même musicien amateur, Ravel navigue timidement dans les mondanités de Paris et on ressent alors sa personnalité mystérieuse et attachante. Ida Rubinstein, superbement incarnée par l’actrice Jeanne Balibar, est la danseuse star du moment, la reine des ballets russes. Un soir, elle jette son dévolu sur Ravel en qui elle croit farouchement, et lui demande de composer son prochain ballet. Il accepte, ravi, mais tétanisé à l’idée d’échouer.

Anne Fontaine nous plonge alors subtilement dans les méandres de la composition, nous rendant impuissants face à la page blanche de Ravel. On angoisse pour lui, on le suit dans ses doutes et dans les cercles vicieux de la procrastination. 

Le spectateur accompagne Ravel dans sa douce oisiveté, entre Paris de la Belle Epoque et des villas secondaires aux paysages charmants, le ventre noué à l’approche du rendu de ce ballet, sous la pression d’Ida Rubinstein, impatiente. Cependant, malgré ses efforts, la page reste blanche.

Une muse au sourire béat

Heureusement, de temps en temps, il a auprès de lui une femme, et pas n’importe laquelle: la mécène, pianiste, grande intellectuelle, Misia Sert. Elle l’épaule, l’écoute, tente de le séduire, elle est pour lui une muse, une amie, comme pour les plus importants artistes de cette époque, pour ne citer que Mallarmé, Cocteau, Renoir, Vuillard, Vallotton, Diaghilev.

On comprend que son mari de l’époque, Alfred Edwards, détient la fortune et qu’il la trompe sans arrêt. Elle se revendique libre et indépendante, mais ce caractère ne trouve aucune profondeur dans l’interprétation.

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En effet, Dorier Tellier, dans le rôle de Misia Sert, est une femme belle et grande, mais totalement insipide. Son sourire béat tout au long du film, même pendant les scènes les plus tragiques, semble complètement inadéquat. Ses conversations avec Ravel se limitent à des citations comme «Il faut oser dans la vie». Comme si c’était sa simple beauté, sa douceur et ses quelques mots qui avaient subjugué le compositeur et tous les artistes de son époque.

La reine de Paris tombée de son trône

Pourtant, Misia Sert, c’était bien plus que cela. Sa grande amie, Coco Chanel, disait: «Il y a toutes les femmes dans Misia.» L’écrivain Marcel Proust la qualifiait quant à lui de «monument d’histoire», tandis que pour le compositeur Erik Satie, elle n’était rien de moins qu’une véritable «magicienne».

Certes, elle était belle (et encore, d’une beauté plutôt charmante), mais ce qui plaisait tant aux artistes, c’était son intelligence, sa personnalité fantasque, son excentricité et sa grande culture artistique. Elle a contribué aux plus grands succès de son époque, par son mécénat, sa vision et son entregent. C’était également une grande musicienne, qui jouait régulièrement lors de dîners en compagnie des plus grands.

Et pourtant, dans ce film, elle est réduite à quelques banalités. Nous ne pouvons croire que c’est Doria Tillier qui interprète mal ce rôle, tant elle a pu incarner une femme excentrique, pleine de complexité, lorsqu’elle était dans la peau de Madame Adelman dans le film de Nicolas Bedos. Comment donc Anne Fontaine a-t-elle pu passer à côté de cette femme? Par ignorance, on l’espère. Elle connaît pourtant bien le sujet, étant donné qu’elle a dressé le portrait de Chanel, grande amie de Misia Sert, dans son précédent biopic Coco avant Chanel réalisé en 2009.

Heureusement, Maurice Ravel, lui, semble plus authentique. On ressent à l’écran toute son intériorité, sa minutie, son exigence. Sa sensibilité surtout; tous les bruits qui l’entourent l’inspirent. Ce sont d’ailleurs parmi les moments forts du film, lorsque les sons du quotidien, comme le frottement d’un gant de soie sur la peau, deviennent pour lui une véritable source de création. Le bruissement de la vie se transforme en une musique rythmique.

Un air expérimental

Mais pour Ravel, le Bolero, ce n’est pas de la musique. C’est un peu par obsession qu’est né cet air mythique. Jouées au piano, les premières notes tournent sans cesse dans l’esprit du compositeur, jusqu’à l’obsession. Il décide, pressé par le temps, et aussi à l’aide de l’avis de sa femme de chambre, d’en répéter l’air durant les 17 minutes commandées. C’est une expérience musicale grâce à ce crescendo, créant cette tension, cette sensualité si forte et particulière du Bolero.

Malheureusement, le film manque de tempo. Certaines scènes sont heureusement grandioses, grâce aux conseils de professionnels, notamment lorsque Ravel dirige un orchestre jouant son Bolero. La photographie est jolie, classique. C’est sans compter sur la bande originale: un pur moment de bonheur musical!

Mais encore, pour s’approcher dignement de Misia Sert autant que du chef-d’œuvre de Ravel, la meilleure façon reste sûrement d’aller voir le Bolero de Maurice Béjart, en juin prochain à Lausanne, et d’admirer les toiles de Bonnard ou Vuillard pour ne citer qu’eux, où Misia est magnifiquement portraitisée, remontant sur son trône.

Ecrire à l’auteure: aude.robert-tissot@leregardlibre.com

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