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Films

Critique

«Megalopolis», le crépuscule d’une idole3 minutes de lecture

par Nicolas Brodard
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«Megalopolis» («Francis Ford Coppola’s Megalopolis: A Fable, Francis Ford Coppola», 2024, 138 min.)

Ostracisée par la critique et refoulée par le public, la fresque civilisationnelle de Francis Ford Coppola enlumine les dilemmes éthiques et esthétiques de la culture occidentale.

Dans un futur proche, la ville de New Rome est en proie au déclin. Architecte et artiste de génie, Cesar Catilina (Adam Driver) plaide pour son entière reconstruction selon ses plans visionnaires. Son ambition entre en conflit avec le maire conservateur Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), défenseur de la tradition. Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), sa fille, s’éprend de Cesar Catilina et initie de ce fait un triangle amoureux, au sein duquel elle cherchera à trouver sa place.

Un film trop actuel pour plaire à son époque

L’intrigue principale de Megalopolis s’appuie sur des repères solidement ancrés dans l’inconscient collectif par les thématiques vivaces de la tragédie classique et du roman d’apprentissage. Parallèlement, le projet à caractère testamentaire de Francis Ford Coppola – demeuré en gestation durant quarante ans – draîne une somme impressionnante de références, que le cinéaste articule par une notable expression de liberté tenant davantage à l’association libre qu’aux logiques de scénarisation habituelles. Si cette évocation constante et foisonnante de l’histoire des idées suscite une observation attentive et offre une stimulation réflexive intense, on comprend qu’à l’inverse, elle puisse lasser le spectateur avide de propos synthétiques.

Il n’en demeure pas moins que cet essai cinématographique semble avoir pour volonté première de transmettre les enseignements de son auteur, tout en ancrant l’actualité des dilemmes éthiques et esthétiques qui animent nos sociétés actuelles dans leur héritage civilisationnel.

La culture occidentale par l’exemple américain

Par la transposition de New York en New Rome, le film interroge la vitalité et la durabilité de la culture occidentale, en particulier telle qu’elle s’incarne dans le modèle américain. Il met en lumière une civilisation dont les idéaux humanistes, rationnels, éthiques et esthétiques – hérités de l’Antiquité et de la modernité – sont en tension avec la réalité sociale et politique contemporaine.

Les Etats-Unis, du fait d’avoir grandement investi le champ symbolique pour garantir leur socle culturel composite, deviennent un laboratoire historique où se confrontent l’héritage intellectuel de l’Occident et les forces de tension entre les formes d’idéalisme futuristes et passéistes. Megalopolis invite à réfléchir à la fragilité des concepts de progrès, de beauté et de raison, ainsi qu’à la manière dont une civilisation peut conserver ses valeurs tout en étant incapable de les incarner.

L’âge d’or, perpétuel idéal civilisationnel

Outre l’ampleur et la densité du propos narratif, l’exploration du réalisateur investit également le champ visuel comme un espace de pensée: chaque architecture monumentale, chaque plan chorégraphié devient un moyen de réfléchir notre héritage esthétique. Ainsi, la cité elle-même devient le lieu d’une quête infinie de perfection, où l’âge d’or n’est pas tant un passé à célébrer qu’une projection constante d’un idéal civilisationnel à atteindre.

L’or, tant malléable qu’inaltérable, rare et particulièrement lumineux, condense un spectre de significations symboliques inégalable. Le film adopte une teinte générale dorée qui renforce la préciosité des objets abordés tout en jetant la suspicion à leur égard. L’approche visuelle de Megalopolis a par ailleurs inspiré la série de photographies composites présentées dans ce numéro spécial.

Notre hors-série «Suisse et Etats-Unis, d’hier à aujourd’hui»

Il est difficile de percevoir et d’accepter les enjeux du présent pour ce qu’ils sont et non pour ce que nous voudrions qu’ils soient. Ainsi, le mécontentement principalement exprimé à la sortie du film est de circonstance. Le propre d’une œuvre testamentaire est sa destination aux générations futures: gageons que celles-ci, suffisamment désabusées par le relativisme postmoderne et ses conséquences, seront heureuses de visionner la fable que Francis Ford Coppola leur conte sur leurs origines et les tensions fondamentales qui les composent. Megalopolis aura alors ou peut-être la chance de connaître un succès rétrospectif.

Photographe de profession, Nicolas Brodard est membre de la rédaction du Regard Libre et a assuré la direction artistique du numéro spécial dont est issu cet article.

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