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La déshumanisation du «Pianiste»5 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: Le cinéma de Polanski – Loris S. Musumeci

Palme d’or au festival de Cannes, Oscar du meilleur réalisateur pour Roman Polanski, Oscar du meilleur acteur pour Adrien Brody, sept Césars, entre autres nombreuses récompenses. Le Pianiste, adapté du roman autobiographique de Wladyslaw Szpilman, est sans conteste le film le plus connu de Polanski, son plus grand succès. L’un des films majeurs de la Shoah au cinéma. L’œuvre est en effet grandiose. Elle raconte l’histoire du pianiste juif Szpilman, qui a échappé à la déportation dans une Varsovie occupée par les nazis.

Le Pianiste est d’une richesse extrême. Deux heures et demie de film pour deux heure et demie de détails, de subtilité, de révulsion, de peine, d’espoir et même d’enchantement. Deux heures et demie d’émotions et de réflexions. La richesse du fond recoupe la richesse de la forme. Tout y est. Des silences des dialogues aux déclarations brèves et incisives, des changements dans les tonalités des couleurs jusqu’à leur disparition, de la musique de Chopin aux cris de détresse dans le ghetto de Varsovie, des élans héroïques et courageux de Szpilman à sa vilainie mesquine, de la barbarie nazie à leur capacité d’être aussi humains, de connaître aussi la pitié. Le Pianiste, une œuvre riche, une œuvre complète. Bouleversante.

Perdre l’humanité

Parmi tant d’aspects précieux du film, il faut choisir. Il est une question qui à mon sens y atteint son sommet: c’est celle de la déshumanisation. Les juifs, du bétail chargé dans des wagons pour finir à l’abattoir. Les juifs, plaie de l’humanité. Les juifs, bête maligne et parasite. Il faut la traiter comme telle. Le nazisme y est presque parvenu. Mais l’humanité sait jaillir en l’homme d’une force que la raison ignore. Soumis à la torture, à une vie dans des conditions simplement inhumaines, les victimes du nazisme sont mortes ou ont résisté. Face à la souffrance absolue, face au mal, l’homme est tenté de se comporter comme une bête en s’acharnant sur son prochain, en volant sa nourriture en cultivant l’indifférence jusqu’à l’égard de ses propres enfants.

La Shoah en a montré des exemples dramatiques, sans doute les pires, mais les processus de déshumanisation ont menacé dans toutes les guerres les plus barbares et autres génocides. Au Rwanda, des mères sont allées jusqu’à tuer leurs enfants. Dans Le Pianiste, des juifs se dénoncent entre eux, s’exploitent, se frappent. Heureusement pas tous. Il reste que l’humanité est mise à dure épreuve quand elle subit l’horreur.

Tout le film tourne autour Szpilman, à partir de son point de vue, à l’exception de deux séquences, l’une au début qui montre de vraies images de Varsovie en noir et blanc et l’autre à la fin qui montre un camp de prisonnier pour soldats allemands capturés par les Russes. La victime sur laquelle on se concentre au début, c’est la ville de Varsovie, la vie normale, la culture polonaise, la culture d’un monde civilisé où l’on passe du Chopin à la radio et où l’on vit tous ensemble, sans distinction discriminatoire de race ou de religion.

Les victimes sur lesquelles on se concentre à la fin, plus polémique, ce sont les soldats nazis faits prisonniers. Tous jeunes, frais et forts, mais d’ores et déjà condamnés. On suit pour un instant le point de vue de l’officier nazi qui a sauvé Szpliman. Il incarne la part humaine des nazis: en oppresseur, il a néanmoins sauvé un juif d’une part en ne le tuant pas, d’autre part en lui rendant son humanité lorsqu’il lui a demandé de jouer du piano. Chez Polanski, dans sa vie comme dans ses films, les bourreaux et les victimes se confondent souvent.

Retrouver l’humanité

Le processus de déshumanisation apparaît comme le plus flagrant et le plus évident avec Adrian Brody interprétant le personnage principal. C’est un artiste, un pianiste. Bel homme, à l’allure noble. Noblesse dans sa posture physique et morale. Doigts magiques qui dansent sur les touches du piano en faisant de lui un virtuose. Jeune homme élégant, qui flirte avec l’une de ses admiratrices, blonde et charmante. Moralement droit, il cherche à aider son prochain. Il se soucie du sort d’autrui. Il entre en résistance. Mais l’oppression est telle qu’il va profiter de la résistance pour fuir et se sauver en solitaire. Il erre dans les rues de Varsovie. Se cache, sale. Rampe, seul. Szpilman, c’est le beau pianiste qui devient rat. Animal auquel étaient comparés les juifs par les nazis et autres antisémites.

De ses griffes, le personnage recroquevillé sur lui-même, affamé et misérable s’accroche à une boîte de cornichons. Seule chose qui garde encore une valeur à ses yeux. Sa boîte, il l’entraîne avec lui dans son trou de grenier. Et il se retrouve face-à-face avec l’officier nazi. Il peine même à parler. La bête s’est emparée de lui. Est-il encore un homme? Ou un rongeur qui vit dans la survie? Lorsqu’il joue à nouveau du piano sous l’ordre de l’officier, l’image s’éclaircit par un faisceau de lumière qui envahit l’écran. Il retrouve une posture humaine. Le salut lui est venu de l’oppresseur. Paradoxe inhérent à la nature humaine. Le mal déshumanise ceux qui le subissent comme ceux qui l’infligent. Mais la sensibilité artistique et la compassion sauvent l’un et l’autre. A l’heure du transhumanisme, des eugénismes en tout genre, l’humanité n’a encore pas dit son dernier mot. Si à l’instar de Szpliman, l’homme a résisté à la barbarie nazie, il peut résister à tout. A condition qu’une petite lumière en son cœur lui rappelle qu’il est encore et toujours humain.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Bac Films

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