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Les tableaux d’un flâneur par Elia Suleiman4 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Les mercredis du cinéma – Ivan Garcia

It Must Be Heaven, le dernier long-métrage du réalisateur israélo-palestinien Elia Suleiman, entraîne le spectateur sur les traces d’un protagoniste silencieux, Elia Suleiman lui-même, qui vogue de lieu en lieu et observe le monde qui l’entoure. A travers plusieurs tableaux, le film dépeint avec humour les instants oubliés mais quotidiens de nos existences, ainsi que la quête de reconnaissance d’un réalisateur. Un long-métrage poétique et amusant, mais à ne pas forcément placer entre toutes les mains.

Présenté au Festival de Cannes 2019, le nouveau film d’Elia Suleiman était attendu au tournant. It must be Heaven est un film «méta» au sens où le protagoniste du long-métrage n’est autre qu’Elia Suleiman lui-même à la recherche de fonds pour produire son film. Un dispositif assumé d’emblée de jeu et qui nous permet d’embrasser le point de vue de Suleiman, notamment au sujet de son quotidien et des choses qu’il voit.

https://www.youtube.com/watch?v=RYSKzDiUGdk

Le regard sans voix

Au niveau de la composition, le long-métrage est structuré en différents tableaux; tableaux dont le spectateur doit tisser les liens à l’aide d’indices visuels ou des paroles de personnages secondaires. En effet, grande particularité du film, le protagoniste est d’un mutisme absolu. Et c’est ce qui rend le visionnage fascinant.

Il me semble que tout le film joue sur un seul élément: le regard. A défaut de parole, Suleiman observe tout. Ce sens de l’observation, a priori si ennuyant, est rendu ludique et drôle par le protagoniste qui joue d’un certain comique de gestes et de situations. Cela m’évoque notamment le jeu d’acteur dans les vieux films muets, à l’instar de Buster Keaton dans Steamboat Bill, Jr.

Le regard du protagoniste interroge – au sens propre. Face à ce regard, les personnages secondaires s’expriment, vont à la rencontre de Suleiman, créent des liens. A titre d’exemple, nous pouvons citer son voisin qui, chaque matin, s’introduit dans son jardin pour se charger des citronniers. Cela est d’ailleurs traduit par la caméra qui alterne entre des plans généraux, en vue de décrire les paysages et d’ancrer le protagoniste dans un milieu ou un pays, et la caméra subjective qui nous laisse voir la scène à travers les yeux du protagoniste.

Elia Suleiman, ce flâneur

Etant donné que le personnage ne nous fournit aucune indication, le réalisateur a disséminé, çà et là, des indices pour nous permettre de comprendre ce qui se passe. Prenons l’exemple géographique. Au début du film, la langue des personnages secondaires, ainsi que des panneaux, nous indique que le protagoniste se situe en terres arabophones. Mais, plus tard, une camionnette, devant la maison du protagoniste, porte des plaques minéralogiques israéliennes.

De même, lorsque Suleiman prend l’avion, la télévision indiquant le parcours du vol place le point de départ à l’aéroport de Tel-Aviv. De quoi nous obliger à être attentifs à ce que nous voyons. Et à ce que nous entendons. La belle bande-son met d’ailleurs en valeur plusieurs passages – poétiques – comme la course-poursuite entre une femen déguisée en ange et des policiers new-yorkais sur fond de Darkness de Leonard Cohen.

Parti de Tel-Aviv, notre réalisateur se rend à Paris où, installé à la terrasse d’un café, il contemple les passantes dans la rue. Le rythme du film, à l’instar d’une grande fresque, est lent: on s’arrête, on observe et on analyse les choses et les personnes. Surtout si ce sont des événements du quotidien, comme des passants assis autour d’une fontaine, de policiers en patrouille, d’éboueurs qui jouent avec des canettes…

Notons que la seule fois où le protagoniste parle, c’est lors d’une conversation avec un chauffeur de taxi. Ce dernier l’interroge sur son pays d’origine et sa nationalité. Suleiman lui répond alors qu’il est palestinien et vient de Nazareth. Le chauffeur de taxi s’enthousiasme alors et lui offre la course. Parce que Suleiman est Palestinien… D’où l’importance du mutisme. De ville en ville, de Tel-Aviv à New York, le protagoniste – s’il ne dit rien et que les autres ne s’intéressent pas à son origine – passe inaperçu. Un citoyen du monde.

Avant d’être un film sur la Palestine ou sur la condition d’un réalisateur palestinien, ce qui est mis en avant dans It must be Heaven, c’est un éloge du flâneur. Vous savez, ce héros baudelairien qui aime traîner dans les rues? Eh bien, Elia Suleiman se met en scène pour incarner ce personnage errant qui est finalement de partout et de nulle part.

Le long-métrage du réalisateur israélo-palestinien est emprunt d’une poésie qui, au lieu de passer par le verbal, se concentre sur le visuel et, notamment, sur les gestes. Mais justement, au vu des standards actuels, peut-être que ce film s’adresse plus à des personnes curieuses de voir des nouveautés ou admiratrices de films «à l’ancienne». En tout cas, Elia Suleiman réussit à nous faire passer un bon moment en compagnie de son flâneur palestinien.

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Crédit photo: © Filmcoopi

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