Les mercredis du cinéma – Jordi Gabioud
Retour avec Matrix 4 dans le temple des mirages numériques où les lois de la physique et du temps peuvent se plier à la convenance de la divina voluntas de notre élu préféré. Vingt-deux ans après le film qui a révolutionné le blockbuster, Lana Wachowski nous invite à nouveau à suivre le lapin blanc. Pour le meilleur comme pour le pire.
Thomas Anderson (Keanu Reeves) est un développeur de jeux vidéo populaire à qui l’on doit une trilogie à succès: Matrix. Cependant, l’homme névrosé peine à discerner le réel de l’univers de ses jeux. De plus, il se sent mystérieusement attiré par une inconnue, Tiffany (Carrie-Anne Moss). C’est sur cette route déjà embouteillée de clins d’œil que ce Matrix 4 s’ouvre. Et si le plaisir de retrouver nos héros magnifiques nous cueille, on s’attriste bien vite de les voir s’embourber dans les mêmes tares qui ont suivi le premier volet. Matrix: Resurrections serait-il la troisième suite de trop? Aventurons-nous dans la matrice pour trouver nos réponses à ces questions.
Matrix, éloge de l’amour
Qu’on l’apprécie ou non, Matrix: Resurrections met d’accord beaucoup de critiques: il ne marchera pas. Trop marginal, trop mou, trop compliqué, bande-annonce peu vendeuse, projet qui semble sortir de nulle part… Le constat désabusé que le film offre sur le statut du blockbuster hollywoodien actuel ne plaira pas à un large public, considéré comme volontairement prisonnier d’une matrice que les sœurs Wachowski ont pourtant mis trois films à déconstruire. N’oublions pas non plus l’accueil plus que tiède réservé au second opus puis au divorce finalement signé avec Matrix: Revolutions. Cependant, ces deux volets se verront en partie réhabilités par un certain public de fans et de critiques avec le temps. Et c’est ce qui se produira avec ce nouvel opus.
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Pourtant, si l’on se permet, à partir de cette phrase, le divulgâchage, le socle de la saga est on ne peut plus simple: un combat pour l’amour. C’est toujours le cas de Matrix 4 qui fait de la relation entre individus le moteur de son récit et de ses thèmes. De son récit puisqu’il s’agit du sempiternel héros bataillant contre un système pour reconquérir sa promise. De ses thèmes car aucune des nombreuses interprétations de l’œuvre des Wachowski ne peut être amputée de la question interrelationnelle. Ce récit reprend donc les fondamentaux du mythe de Campbell. Néo, ce Sisyphe numérique, doit inlassablement lutter contre le système pour sauver ceux qu’il aime. Un combat universel qui devrait parler à tout le monde, non? Non.
Contre Hollywood
Sur la base de ce thème, Matrix: Resurrections déploie quantité de thèmes et de citations. Le film a conscience d’être la suite de trop, arrivant presque vingt ans après avoir laissé ses héros pour morts et la paix s’établir entre les humains et les machines, entre le cinéma et le numérique. Rappelant fortement Freddy sort de la nuit (1994), le film se lance dans un jeu métaleptique où la conception de ce nouveau volet par Lana Wachowski est illustré au sein de celui-ci par Thomas Anderson (Neo) chargé de développer une suite à sa trilogie de jeux vidéo «Matrix». Le film insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une volonté de l’auteur, qui y travaille à contre-cœur, mais des studios Warner.
C’est alors la moisson des références et des citations aux films précédents, sur l’héritage du tout. On attaque de front, allant jusqu’à retourner certaines scènes du premier opus lorsqu’on ne réintègre pas directement des plans des films précédents. Matrix: Resurrections est un chantier qui bâtit à la truelle son discours. Le mérite de cette opération, c’est que le message est clair: les studios veulent une suite à la saga Matrix, on y mettra tout ce qui a fait le succès des précédents même si le résultat n’en sera qu’un décevant produit commercial.
C’est sur cette base que les critiques se déchirent: certains défendent un film qui se sabote volontairement pour s’ériger comme un doigt d’honneur envers les studios (rappelons que le slogan de l’entreprise de développement du film est «for those who love to eat shit»). Ainsi la mollesse des scènes d’action, la confusion des discours et le ridicule de certains personnages sont pardonnés car volontaires. D’autres critiques arguent alors que même si le film se veut ironique, il accomplit tout de même le cahier des charges exigé et se conforme alors à tout ce qu’il dénonce. Un débat qui se rapproche dangereusement de la notion de «volonté de l’auteur» qui voudrait que toute explication à un film se rapporterait aux seules intentions de son créateur. Si cela peut en effet offrir des pistes, réduire Matrix à cela est le meilleur moyen de desservir l’œuvre.
Une œuvre ouverte
Dans les faits, nous ne pouvons réduire ce Matrix 4 à cette question. Car le film, dans la conscience de son héritage, s’efforce de reprendre de nombreuses interprétations et de les valider pour continuer à les exploiter. Le thème du libre arbitre revient, dans une version allégée, voire parfois parodiée; le causalisme demeure un moteur fondamental du récit. La question de l’inné et de l’acquis surgit plus encore sur le devant de la scène et questionne nos désirs.
Le méta-discours sur l’industrie cinématographique n’est ainsi qu’une lecture qui en côtoie bien d’autres. Tout cela tourne parfois à la cacophonie discursive, c’est pourquoi il sera nécessaire d’attendre quelque temps pour voir le tout être scrupuleusement décortiqué. Mais cela contribue aussi à faire passer la logique du récit au second plan. Prenons par exemple la triste apparition du mérovingien, devenu sans-abris et sans possessions, intervenant au milieu de rien pour offrir une scène particulièrement creuse en termes d’action, le tout étant justifié uniquement par la volonté de tourner en ridicule un patriarcat conservateur et dépassé par ce nouveau monde matriciel.
Matrix: Resurrections est un brouillon qui a déjà commencé à diviser. Mais il est certain que lorsque le grand public sera passé et qu’il sera oublié de celui-ci, demeureront ses plus grands défenseurs, les amateurs du décodage interprétatif, qui démêleront tous ces fils discursifs pour en faire un chef-d’œuvre autoréflexif incompris par la critique. En attendant, Matrix: Resurrections nous ramène à l’essentiel: cette pierre de Sisyphe est toujours plus facile à déplacer à deux.
Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com
Crédits photo: © Warner Bros. Entertainment Inc. and Village Roadshow Films (BVI) Limited
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