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«Matrix» et le nouveau totalitarisme8 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: La coronarétrospective du cinéma d’anticipation Loris S. Musumeci

Toc toc, lecteur… Réveille-toi, lecteur… Tu es dans la matrice… Ce serait moins rassurant si le message s’affichait directement sur l’écran de votre ordinateur, comme un bug. Mais un bug bien personnalisé et contrôlé. Comme si la machine s’adressait directement à vous. C’est ce qui arrive au jeune informaticien Thomas (Keanu Reeves). Comme tout informaticien qui se respecte, il est train de s’adonner à je-ne-sais-quel piratage, quand un message, écrit en direct, apparaît en caractères verts sur fond noir. «Toc, toc, Neo… Réveille-toi, Neo… Tu es dans la matrice… Suis le lapin blanc…»

On aura connu message plus clair. Mais pour Thomas, tout devient vite très clair. Et sérieux. Le lapin blanc, il l’aperçoit sous forme de tatouage sur l’épaule d’une fille qui toque à sa porte après l’apparition du message; il suit la fille jusqu’en boîte de nuit, où il rencontre une autre fille, qui lui révèle que c’est elle qui lui a écrit tout à l’heure, et qu’elle sait tout de lui. D’ailleurs, Neo n’est pas un nom lambda. La femme qui lui a écrit ce message doit effectivement bien le connaître. Même trop bien. Puisque «Neo» correspond au pseudonyme secret qu’il utilise en tant que hackeur. Pour ce qui est de la «matrice», eh bien c’est sa plus grande quête que de la comprendre. A partir de là, commence l’aventure. Commencent les périples pour ce geek un peu paumé.

Se battre contre la matrice

Dès le lendemain matin, on le traque jusqu’à son bureau. Des agents en cravate et lunettes de soleil veulent l’interroger. Un téléphone mystérieux l’avertit du danger qu’il encoure. Il est néanmoins arrêté. Ces agents sont au courant de l’échange qu’il a eu avec la femme. On l’interroge jusqu’à la torture. Pas un mot de Thomas, il se méfie. Puis on le libère. On l’a à l’œil, il finira par parler. Et voilà que revient cette femme; elle a tant à lui expliquer.

Premièrement, elle appartient à un groupe de rebelles. Deuxièmement, elle veut que Thomas les rejoigne. Troisièmement, elle ne lui laisse pas vraiment le choix. Ces rebelles que Thomas rejoint se battent contre la matrice. Qui n’est autre qu’un grand système, un monde virtuel et parallèle créé par des machines pour y faire vivre les êtres humains, totalement soumis, programmés, aliénés. Se battre contre la matrice, c’est avant tout essayer d’en sortir, pour retrouver le monde réel. Mais même dans le monde réel, les machines toutes-puissantes traquent ceux qui ne se plient pas à leur système totalitaire.

Dans un futur proche

L’histoire se déroule en 2199. Un futur relativement proche, bien qu’il reste encore du temps pour en arriver là. Nous vivons dans un monde bien réel. Bien. De là à dire que nous y sommes libres et souverains, c’est une autre affaire. Nous sommes à peine sortis d’un siècle de totalitarismes dictatoriaux et politiques. Et la démocratie n’a jamais été qu’une illusion. Bien que le discours change en fonction des pays et des époques, on ne peut pas dire que jusqu’à présent l’histoire de l’humanité n’ait été que liberté, égalité et fraternité.

Avec Matrix, la dictature qui s’annonce est néanmoins d’une nature différente. Le prochaine dictature ne sera plus écrite avec du sang d’innocents sur fond brun, noir ou rouge, elle sera en écrite en 0 et en 1, en vert sur fond noir. La dictature totalitaire dans Matrix est technologiste. Plus précisément, informatique. Le film est sorti en 1999, en pleine démocratisation de l’informatique. C’est dès ces années-là que tous les foyers des pays évolués ont acquis un ordinateur. Vingt ans plus tard, le phénomène est planétaire. L’ordinateur a pris différentes formes. Il est devenu téléviseur par les box en tout genre liées à Internet; il est devenu téléphone portable par les smartphones. Dans les pays du tiers-monde, on a désormais un smartphone avant d’avoir de quoi satisfaire ses besoins primaires.

Big brother nous aime

L’ordinateur est partout, en tout temps, en constante connexion par le net. Tout est lié; tout le monde est lié. Et personne ne peut en sortir. Quand on entre dans la grande famille du net, on y reste, à jamais, et dans plus en plus de dimensions de notre être. Big brother is watching you… Mais heureusement que le grand frère est bienveillant: il sait, à chaque instant, où nous sommes, ce que nous faisons, ce qui nous intéresse; il sait même ce qui fait frémir nos sens. Quelle complicité agréable et géniale! Tous les pornos regardés sont dans l’œil du grand frère, mais pas de panique, il ne dira rien. Parce que le grand frère nous aime, chacun de nous, autant que nous sommes. Le grand frère veut nous rendre la vie plus simple. Le grand frère a donné son fils unique pour nous sur la croix… pardon, je m’égare.

Néanmoins, le grand frère nous aime autant que Dieu, si ce n’est plus. Alors que les divinités proposent de farfelues vies éternelles dans un au-delà qui ne veut rien dire et dont personne ne sait rien, le grand frère, lui, est plus conséquent, plus concret. Il se propose de nous pénétrer. Il nous propose de ne plus laisser hors de sa portée aucun élément de notre intimité, de notre vie, de notre corps, jusqu’au battement de notre cœur, jusqu’à l’infinité de notre cerveau. La conscience serait impénétrable? Tu parles! Le grand frère pénètre tout, il encule tout le monde. Mais avec respect et tendresse.

Parce qu’il nous aime. Oui, il nous aime trop. Alors il veut non seulement tout savoir de nous, vivre à travers nous, mais il veut que ce grand bonheur ne s’arrête jamais. Le grand frère veut que nous soyons immortels. Le grand frère nous propose un nouvel Eden sur cette Terre dans une matrice qu’il aura conçue spécialement pour nous. Où le loup jouera avec l’agneau, où les guerres n’existeront plus, où la mort ne sera qu’un mauvais souvenir. Où penser ne sera même plus nécessaire. Parce que le grand frère pensera à travers nous. Parce que nous serons enfin tous frères, libres et égaux. Mais vraiment égaux, à 100%. Plus de jaloux, plus de différence. Nous aurons tous le même corps lisse et sans défaut. Il n’y aura plus l’homme, il n’y aura plus la femme: il y aura un être asexué qui ne se souviendra même plus ce que c’est que faire l’amour, cet acte bestial.

Métro-boulot-dodo

Dans l’univers fictif de Matrix, l’informatique est devenue intelligence artificielle. Pour devenir ensuite intelligence naturelle. Les machines et les ordinateurs ont commencé à s’engendrer eux-mêmes, ils se sont créés avec une intelligence innée. L’intelligence de l’homme, quant à elle, est passée de naturelle à artificielle. Parce qu’elle a peu à peu été remplacée par celle imposée par les machines. Et les machines ont créé la matrice: on y vit bien, dans l’aveuglement pour éviter d’être ébloui. Métro-boulot-dodo.

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Matrix, avec toutes les questions qu’il soulève, c’est encore une œuvre de cinéma réussie, fascinante et courageuse, tant dans sa forme que dans son fond. Son héros et ses camarades sont tout aussi courageux que le film qui les porte. Il se battent contre la matrice pour revenir à la réalité, même si la combat est difficile, même s’il est devenu impossible. Et le spectateur, qu’est-il prêt à faire pour éviter de perdre sa liberté?

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Warner Bros

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