Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) – Thierry Fivaz
Présenté ce mardi 10 juillet au NIFFF dans la catégorie «Films of the third kind», Profile de Timur Bekmambetov propose une expérience cinématographique inédite, mais cependant ordinaire.
Lorsqu’il est question de présenter son film, Timur Bekmambetov n’y va pas par quatre chemins. Pour le réalisateur, il s’agit d’une véritable expérience cinématographique, quelque chose d’inédit et de jamais vu! Et difficile de donner tort au réalisateur, puisqu’aucun long-métrage ne prit jamais une telle forme. D’ailleurs, c’est la forme, davantage que le scénario, qui singularise Profile et permet de le classer dans une catégorie à part, détachée des autres. Toutefois, si tour de force il y a, Bekmambetov verra-t-il d’autres réalisateurs lui emboîter le pas ? Rien n’est moins sûr.
Le quotidien sous nos yeux
La forme que prend le film de Bekmambetov est la suivante: imaginez le bureau (ou desktop) de votre Mac – vous savez, l’espace où des tas de dossiers et documents s’alignent et attendent d’être rangés. Eh bien, c’est dans cet espace que se déroule l’entier du film.Celui-ci, en effet, consiste en une succession de captures d’écran vidéo (ndlr: ce que Bekmambetov appelle Screen Life). En somme, il s’agit, comme certains logiciels le permettent, d’une suite d’enregistrements vidéo de ce qui se passe sur l’écran d’un ordinateur – de nombreux exemples, notamment des tutoriels, sont réalisés de la même manière et visibles sur YouTube.
Plus classique, la narration, elle, se fait linéaire. Chaque séquence du film correspond à un jour ou un événement. Le film s’ouvre sur le jour 1 et, selon un intervalle irrégulier, passe au jour 5, puis au jour 8, etc., comme si nous survolions un journal intime qui ne nous appartenait pas. Le rythme du film, quant à lui, se fait au gré des appels Skype, Facetime ou autres SMS qui apparaissent à l’écran via des fenêtres surgissantes ou autres notifications sonores et/ou visuelles. Les voix que nous entendons sont celles qui nous parviennent des applications exigeant l’activation du micro (comme Skype ou Facetime); comme les visages – dont celui de la propriétaire de l’ordinateur – qui sont ceux que ne voyons uniquement par l’intermédiaire d’applications exigeants l’activation de la caméra. S’ajoute à cela, les vidéos reçues et ouvertes qui nous donnent parfois l’impression de voir un film «ordinaire».
Si c’est la première fois qu’un long-métrage prend effectivement une telle forme, il s’agit pour beaucoup d’entre nous d’une vision particulièrement familière; puisque c’est un spectacle identique que nous observons tous les jours lorsque nous sommes assis à notre bureau. Dès lors, une fois passé l’étonnement de voir porté sur un si grand écran une vue si familière, soit environ 10 minutes, l’expérience se révèle surtout ordinaire, voire banale, et devient même agaçante, mais l’agacement vient surtout du scénario.
La belle et la bête
Profile est inspiré du livre Dans la peau d’une djihadiste de la journaliste française Anna Erelle. A l’image de la journaliste française, le film nous raconte l’histoire d’Amy Whittaker (Valene Kane), une journaliste anglaise qui essaie (et parvient) via Facebook à entrer en contact avec un jeune recruteur de l’État islamique (Shazad Latif). Si l’enjeu initial était de récolter un maximum d’informations sur l’organisation terroriste, notamment en ce qui concerne la manière dont procèdent les recruteurs, la situation va vite dégénérer. Puisqu’après de nombreux échanges via Skype et autres SMS (d’où la forme du film), la jeune femme va s’éprendre, ou en tout cas ressentir une profonde affection pour le jeune djihadiste. On croirait rêver!
Mais au-delà d’un sénario qui dépeint un portrait d’ailleurs peu flatteur de la gente féminine – le film montre une journaliste profondément idiote, émotionnellement faible et naïve, on en vient même à vouloir briser son ordinateur à de nombreuses reprises; quelles peuvent être les intentions d’un tel film? S’agit-il de montrer que «les méchants djihadistes» ne sont pas uniquement des monstres sanguinaires assoiffés de sang et peuvent également être sympathiques, voire charmants? Ou s’agit-il de montrer que même des individus un tant soit peu éduqués peuvent tomber dans leurs filets? Les deux propositions ne s’excluent pas, mais qui d’ailleurs en doutait vraiment? C’est une évidence sans nom d’admettre, quoi qu’en dise Sergio Leone, que le monde ne se divise pas en deux catégories, avec d’un côté les bons et, de l’autre, les méchants. Est-ce dès lors pertinent d’en faire un film?
Cependant, là où Profil peut s’avérer intéressant, c’est par son aspect documentaire aux allures de film-témoignage. Or, nous pouvons le regretter, c’est qu’on semble, à l’instar de son réalisateur, souligner davantage la forme de Profile que son contenu. Une forme inédite, mais banale; qui semble cependant plus intéressante à exploiter qu’un contenu inutilement dur, troublant et ennuyeux une fois la première demi–heure passée. Un contenu qui pourtant, à défaut d’être une véritable fiction, pourrait se muer en un fantastique moyen de prévention et de sensibilisation. Quant à l’expérience cinématographique annoncée, nous repasserons. Dommage.
PROFILE (Timur Bekmambetov) – NIFFF – International competition | |||||
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Virginia Eufemi | |||||
Thierry Fivaz | FF | ||||
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Hélène Lavoyer | FF |
Ecrire à l’auteur: thierry.fivaz@leregardlibre.com
Crédit photo: © NIFFF
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