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«Santiago, Italia»4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci

«Je suis certain que mon sacrifice n’aura pas été vain.»

11 septembre 1973, les militaires chiliens s’emparent du pouvoir par un coup d’état. La politique du président socialiste Allende n’est pas de leur goût. Elle est dangereuse. Trop sociale. Trop idéologique. Populiste. Le pays est au bord du gouffre, parce que divisé. Sans manichéisme, il faut bien se rendre compte que d’un côté il y a le peuple, ouvriers et paysans, marxistes et catholiques, de l’autre il y a la haute bourgeoisie, de droite. Elle possède les usines et les privilèges. La politique d’Allende bloque les prix des produits essentiels au peuple; ce qui ne convient pas aux grands patrons, qui ne peuvent plus augmenter les prix au gré de leurs calculs intéressés.

Alors c’est le chaos. Parce que si les médias sont aujourd’hui majoritairement de gauche, ils étaient clairement marqués à droite dans le Chili des années septante. Ils étaient du côté du pouvoir financier. Comme les industries, qui ont cessé de produire en guise de protestation. Et les instances dominantes se sont opposées à Allende. Chantage. Sabotage. Les militaires prennent le pouvoir. Et l’on passe de la démocratie à la dictature. On arrête. On torture. On tue, impunément. Allende en est d’ailleurs la première victime: pour éviter la guerre civile en montant le peuple contre l’armée, il accepte de se faire tuer, dans un palais présidentiel bombardé. C’est un symbole qui s’en va.   

«Moi je ne suis pas impartial.»   

La réalité pourrait être plus nuancée. Jusqu’à un certain point. Il faut reconnaître quand même que le président Allende était très apprécié, et que sa politique a eu des effets efficacement rapides au service des plus démunis. Il faut reconnaître aussi que l’Eglise catholique était derrière lui, alors même qu’elle n’est pas connue pour être la meilleure copine du communisme. La gauche chilienne se voulait humaniste et démocrate. Ce qu’elle a pu appliquer jusqu’à un certain moment.

Et réalité nuancée ou non, il faut reconnaître que l’armée, agissant censément au service de la patrie, a torturé des hommes en leur électrocutant les testicules; des femmes en leur électrocutant le vagin. On a connu plus sympa envers ses concitoyens. Et puis de toute façon, Nanni Moretti a réalisé son documentaire de manière impartiale; il le dit lui-même. Alors suivons-le, et laissons-nous prendre par l’ardeur révolutionnaire.  

Le film compte néanmoins des défauts, et particulièrement un défaut: son manque de vigueur. Plus d’images d’archives, plus de passion n’auraient pas été de trop pour prendre le spectateur pleinement aux tripes. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas d’émotion. Lorsque l’un des témoins intervenant face à la caméra évoque la mémoire de l’archevêque Henrìquez, il pleure. Athée et communiste, il est ému par ce que l’homme d’Eglise a fait pour lui, pour son peuple. Ou encore un ouvrier qui peine à retenir ses larmes, quand il se souvient de l’Allende qui avait accordé un verre de lait par jour procuré par la nation pour chaque enfant.

«Le pays était amoureux d’Allende et de ce qui se passait.»

Autre point regrettable, celui de ne pas assez exploiter les paysages de Santiago. Et celui, de ne pas offrir la beauté de l’image pour accompagner la beauté du sujet. Dommage, parce que le plan d’ouverture du film laisse espérer une photographie travaillée et artistique. On voit en effet Nanni Moretti regardant Santiago depuis un balcon pour amener ensuite la caméra en plan avion sur la ville. Mais ça s’arrête là. En outre, les quelques images de manifestations actuelles au Chili sont à mon sens parfaitement inutiles.

On reproche encore au réalisateur italien de ne pas avoir érigé de lien entre la dictature de Pinochet et le régime soi-disant néofasciste actuel en Italie. Ce reproche est infondé. Nanni Moretti n’a sans doute aucune sympathie pour le ministre de l’intérieur Salvini et pour son parti La Lega, mais il n’est pas aussi stupide que certains pour le comparer à Pinochet. Et même si la comparaison se valait, aurait-il été décent de comparer l’Italie d’aujourd’hui au Chili post-73?

Et pourtant, le dernier mot de l’un des témoins du film se dresse contre ce qu’est devenue l’Italie. La critique discrète a toute sa place. Nostalgie de l’Italie d’hier. Nostalgie de ce peuple simple, bienveillant, solidaire et généreux. De ce peuple d’honnêtes travailleurs. Qui pourris par une vie un peu plus confortable est devenu un bastion d’individualisme, d’imbéciles et de malhonnêtes. Rassurez-vous, l’Italien que je suis n’inclus pas tous les Italiens dans la critique; les plus petits sont restés authentiques comme les Italiens d’hier. Mais beaucoup ont changé. La mentalité a changé. L’Italie de mes grands-parents se meurt.

Pourvu qu’elle revienne à la vie! Pourvu qu’elle redevienne cette Italie qui a été l’une des seules à ouvrir les portes de son ambassade pour accueillir les Chiliens persécutés. Et leur proposer par la suite un avenir dans la botte. La plupart des réfugiés sont restés. On a été sévères avec eux, mais on leur a offert un travail et une dignité. Encore aujourd’hui, ils sont reconnaissants de la nation italienne et de son peuple. Nanni Moretti parle de tout cela dans son film. Avec sa légèreté habituelle. Avec son point de vue piquant, et souvent juste. Avec une ouverture, qui lui permet de regarder la condition humaine du Santiago d’hier à l’Italie d’aujourd’hui.

«La gauche, unie, jamais ne sera vaincue.»

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Filmcoopi

SANTIAGO, ITALIA
ITALIE, 2018
Réalisation: Nanni Moretti
Scénario: Nanni Moretti
Interprétation: – 
Production: Sacher Films, Le Pacte, Storyboard Media, Rai Cinema
Distribution: Filmcoopi
Durée: 1h20
Sortie: 1er mai 2019

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