Les mercredis du cinéma – Fanny Agostino
Présenté en avant-première durant le Festival de Cannes l’année dernière, le dernier film de Gaspar Noé tranche avec ses précédents. La violence physique et verbale disparaît. L’ancrage est réaliste, le rythme lent conduit à la mort. En split-screen, les caméras s’immiscent dans le quotidien d’un couple de retraités atteint de dégénérescence mentale… et sentimentale. Victime d’un accident cérébral en 2019, le sulfureux réalisateur souhaiterait-il se racheter une conduite? Réponse ci-dessous.
«Elle» (Françoise Lebrun) et «lui» (Dario Argento) possèdent tous les prérequis pour profiter de leur retraite. Sur le balcon fleuri de leur fastueux appartement parisien, cette ancienne psychiatre et ce critique de cinéma sont installés. L’horizon semble clair: «la vie est un rêve», dit la femme avant que son mari ne la corrige: «un rêve dans un rêve». C’est en effet dans une réalité alternative que vont sombrer les protagonistes. Sur ce point similaire à Enter the Void (2009), Noé embarque le spectateur dans un monde parallèle. Sauf que cette fois-ci, il nous pend au nez. Le temps passe et les pathologies s’aggravent. A l’extérieur, Stéphane (Alex Lutz), le fils cocaïnomane abstinent, essaie de trouver la meilleure solution pour ses parents. Mais face au dépérissement de l’existence, est-il vraiment possible d’entreprendre quelque chose?
Un Gaspar Noé inédit
La violence et la sidération ont longtemps été la marque de fabrique du cinéaste. La projection d’Irréversible (2002) au Festival de Cannes avait provoqué un tollé. Monica Belluci endossait le rôle d’une femme victime d’un viol, filmé en plan séquence. Effarement sur la croisette. Une partie du public avait quitté la salle de projection. La réputation de Noé était faite. Le reste de sa filmographie a toujours flirté avec la perversion et le sexe (Climax, 2018) ou le blasphème (Lux Æterna, 2019). Les multiples polémiques qui s’y sont greffées et la défiance qui en a découlé ont longtemps dissimulé l’expérience cinématographique offerte par le réalisateur.
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En possession de ces informations, on a donc toujours une certaine appréhension au moment de découvrir ses nouvelles créations. Vortex a le double mérite de ne pas trahir la patte Gaspar Noé: l’enlisement dans la maladie sur plus de deux heures est une réelle épreuve. Les plans sont rarement coupés et l’on a tout le temps de percevoir cette lente descente vers la mort. En outre, la violence des images est moins immédiate, mais reste bien présente, diffuse dans la décadence des deux individus.
Enfermés dedans
Car il faut bien parler d’individus et non de couple. D’abord, parce que Gaspar Noé a choisi d’isoler ses personnages dans un écran scindé. Celui-ci est d’ailleurs découpé dans un surcadrage qui enferme cette femme et cet homme dans deux réalités bien différentes et qui n’est pas sans rappeler les photographies apposées aux pierres tombales. D’après le réalisateur, ce choix s’est imposé au fur et à mesure du tournage. Lorsque les personnages évoluent dans l’appartement, chaque caméra peut poursuivre l’évolution des deux acteurs dans l’espace. Lorsqu’ils sont réunis, une main traverse le cadre, mais les deux personnages ne sont que rarement dans le même plan.
Françoise Lebrun et Dario Argento se lancent dans des dialogues improvisés. Pour son premier rôle principal au cinéma, le scénariste et réalisateur italien délaisse sa femme et se raccroche à l’écriture d’un livre aux accents freudiens. Quant à Françoise Lebrun, dont la prestation dans La Maman et la Putain (1973) a profondément marqué Gaspar Noé, elle interprète avec brio la perte progressive de son autonomie. La parole tremble, les gestes sont abrégés. Le sentiment est semblable à celui d’une suffocation, languissante mais certaine.
Une mention spéciale enfin pour l’interprétation d’Alex Lutz, fils déchu qui tente vainement d’arranger ce qui reste de l’image parentale et qui nous semble l’individu le plus proche de nous. Avec ce rapprochement de notre propre condition, une nouvelle ère s’ouvre pour Gaspar Noé.
Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com