Festival International de Films de Fribourg – Loris S. Musumeci
« Est-ce que tu ne t’es jamais interrogée sur les conséquences de tes actions ? »
Nisha (l’excellente Maria Mozhdah) est belle. Son teint typé lui donne un charme oriental et profond. Elle le doit à ses parents, émigrés du Pakistan. En dépit de ses origines, la jeune fille mène une vie totalement à l’occidentale. Elle danse en disco, boit un peu, fume sans excès, drague comme il le faut et ne se détache pas de son téléphone portable. Les messages avec ses copines fusent pour prévoir des sorties aussi excitantes que clandestines.
En famille, les rapports avec sa mère (Ekavali Khanna) sont plutôt tendus. Avec papa (Adil Hussain) tout est plus tendre ; elle est sa princesse. Mais celui-ci n’est pas au courant de certaines de ses pratiques. Elle a effectivement pour habitude de fuir de chez elle le soir tombé via deux étages de balcons et un muret. Par cette même voie, le petit ami de Nisha la rejoint une nuit. Caresses modérément sensuels, baisers. Pour le plus grand malheur de tout le monde, le père débarque dans la chambre et, fou furieux, il éclate en tabassant le garçon.
Suite à la rixe nocturne, Nisha est logée au service sociale. Mais « les gens ont déjà commencé à parler ». Confiante, la jeune fille appelle son père pour qu’il vienne la chercher. Il vient, néanmoins la pilule n’a toujours pas été avalée. Sous la forme d’un kidnapping, il l’emmène à l’aéroport. Direction Islamabad pour une rééducation radicale. Arrivés chez la famille du père, Nisha se retrouve comme dans une prison. Cloîtrée, elle doit se taire ; rester soumise.
Un Prix du public évident
Si What Will People Say a été couronné au Festival International de Films de Fribourg par le Prix du public, c’est parce qu’une telle thématique ne peut qu’intéresser et passionner. On pourrait même dire que le sujet plaît trop facilement. Après tout, qui ne s’émeut pas naturellement d’une jeune fille à qui l’on retire sa liberté ? Pourtant la situation est bel et bien réelle. D’ailleurs la réalisatrice, Iram Haq, l’a vécue. Avec douleur.
La photographie n’est pas des plus originales ; elle reste classique. La trame est portée par une caméra assez plate dans son ensemble, mais extrêmement puissante dans les détails. Le plus flagrant réside dans les gros plans des doigts de Nisha. A chaque moment intense, elle bouge le doigts, manifestant son angoisse ou sa joyeuse détente physiquement. Dans la même veine, les expressions faciales, toujours en gros plans, traduisent et résument les émotions lorsqu’elles atteignent leurs points les plus graves.
Les détails qui disent l’essentiel
Autre point de détail essentiel, les scènes où la protagoniste principale se retrouve tant isolée que fondue dans la masse. En fin de compte, les deux reviennent au même : elle y perd sa liberté, son individualité. Le flou l’entoure au Pakistan. Cela signifie par là même sa confusion interne. A l’école pakistanaise, Nisha se retrouve voilée, noyée dans un uniforme que portent toutes les autres filles. Le plan est marquant dans la mesure où, par un zoom en arrière, il montre la tragique uniformité des jeunes femmes.
Une autre séquence rejoint le message : d’Islamabad au village du père, le bus est submergé en plongée dans une épaisse forêt. La route se réduit ainsi à un simple filet. Là encore, Nisha est isolée, ou, plus précisément, elle se dirige vers l’isolement. Les procédés techniques à forte valeur symbolique ne se limitent cependant au personnage principal. Son père, éminemment complexe, est accompagné par le son et la caméra quand la colère l’envahit. Ils jouent les battements accélérés de son cœur : la caméra palpite, le son s’assourdit.
Le jeu des acteurs est remarquable. Les expressions faciales ayant déjà été évoqués, il convient de noter leurs positions corporels. D’une manière quasi théâtrale, ils disent tout ce qu’ils ne peuvent exprimer verbalement dans la droiture ou le voûtement de leur dos. Le père et la fille particulièrement participent de ce fait à la transformation du film en un véritable thriller. Leur violence est ascendante ; jusqu’au point où le père crache sur fille. Choc total. What will the public say ?
« Désormais, tu es notre fille. »
Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo : © Praesens-Film