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Au Café, une soif de société5 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Le Regard Libre N° 46 – Loris S. Musumeci

Le Musée d’art et d’histoire de Fribourg (MAHF) propose une exposition hors-norme. Si, de manière générale, l’institution fait toujours preuve d’une très grande qualité dans son travail, elle atteint ici les sommets de la réussite en livrant au visiteur une part affective de son quotidien, à savoir le café, comme lieu social. Entre histoire, réflexion, divertissement et art: «Au Café, une soif de société». A ne manquer sous aucun prétexte, jusqu’au 17 mars 2019 (infos pratiques en fin d’article).

Le café résonne en chacun de manière différente. Premièrement, parce qu’il touche tout le monde, du bébé au vieillard. L’enfant accompagne sa maman l’après-midi dans un café où – de grâce! – il y a un espace qui lui convienne. Pendant que maman discute avec ses copines, souvent elles aussi des mamans qui rassemblent les bambins pour qu’ils jouent entre eux et leur fichent un peu la paix, l’enfant se trouve à une table plus basse, dans un coin de l’établissement, orné de peintures vives, voire de mascottes du lieu – Jamadu, sans faire de pub, ça vous dit quelque chose?

Quelques plots en bois sont disponibles pour former le maçon que le petit d’homme sera demain. Il y a en général aussi quelques livres, dont un autre enfant, moins bien élevé, a déchiré des pages. Mais le drame, c’est quand le puzzle manque d’une pièce. Quelqu’un l’aurait-il avalé entre deux gorgées de sirop grenadine? Quand ils en ont assez des jeux pour enfants modèles, les plus agités lancent une partie de cache-cache ou de loup.

Tout va bien, jusqu’à ceux-ci crient et dérangent les mémères qui sont venues boire le thé en grand comité. Alors une maman se lève, gueule un bon coup, et le calme revient. Pas pour longtemps cependant, c’est l’heure de goûter: commander un petit pain au lait qui sera sans doute fini par les mamans dont les enfants ont oublié la faim dès lors que le jeu s’est à nouveau imposé.

Un lieu pour tous les âges

Le café ne se limite toutefois pas à la garderie; quand on est ado, après les cours, c’est une bonne binch entre copains qui nous attend. Une fois entré dans la vie active, on va non seulement se rafraîchir avec une bière après le travail et avant de rentrer dans le tumulte de la vie de famille, mais on est obligé – dignité oblige! – de passer prendre un café le matin et lire le journal. Et même si désormais on lit Le Matin sur son smartphone, pourquoi changer une bonne habitude? C’est tout de même au comptoir qu’on prend son café, observant d’un œil l’écran et d’un autre œil le va-et-vient des serveuses et des autres clients.

Les vieillards, eux, se rendent au café pour passer le temps. Seul, le retraité vient s’imprégner de vie et de mouvement qui ont déserté son logis avec le temps. En compagnie, le troisième âge joue aux cartes et discute, non sans nostalgie, du bon vieux temps. Mais le café ne voit pas seulement défiler tous les âges, il rassemble aussi toutes les couches sociales. La salopette bien tachée de l’ouvrier se mêle aux cravates bien nouées des assureurs; et les chaussures de chantier toutes cimentées, aux mocassins bien cirés. Malgré les différences, tout le monde a soif, une soif de société.

Une exposition complète et vivante

Pour revenir à l’exposition en elle-même, si elle traduit parfaitement ces impressions liées au café, lieu de tous et pour tous, c’est parce qu’elle est le fruit d’un travail complet et considérable. Sous la coordination de Verena Villiger, directrice du MAHF, l’espace a été aménagé dans les trois salles du musée, subdivisé en huit sections qui consacrent pour chacune les multiples dimensions du café. En outre, l’exposition ne se contente pas de montrer des objets entreposés, mais elle les met en valeur par des explications simples et des dispositions qui correspondent à l’impression qui veut être traduite.

© Indra Crittin pour Le Regard Libre

Les murs sont tapissés de photos, de dessins et de peintures, mais aussi d’objets artistiques plus insolites comme des tables à la verticale ou des cravates à l’effigie de différents bistrots de Fribourg. Et bien sûr, on trouve un juke-box, des caisses à l’ancienne, des cendriers, des tables, des chaises, de la vaisselle et tant d’autres objets. Une projection interactive s’étalant sur toute la paroi d’un grand mur projette une carte de Fribourg datant de 1606, où le visiteur peut se rendre d’une auberge à une autre. J’en oubliais presque la musique: on peut écouter quelques titres du chansonnier-cabarettiste fribourgeois Max Folly. Un bain d’histoire et de divertissement. Simplement génial!

Les œuvres exposées livrent enfin des ambiances. Les drapeaux de la Landwehr ou le portrait officiel du général Guisan nous replongent dans un temps révolu. Il en va de même pour les hommages aux grands tenanciers fribourgeois dont celui de la grande Marie-Rose Holenstein, patronne du Gothard. Les journaux ont leur place également: ils traduisent les luttes partisanes entre conservateurs et progressistes. Les affiches publicitaires, quant à elles, incitent à la consommation immodérée d’alcool ou, au contraire, à se garder de l’ivresse en se contentant d’un bon jus de pomme.

La production artistique dans les cafés est notamment incarnée par Jacques Chessex, à qui une photo fait particulièrement honneur, et par Jean Tinguely, maître en matière d’ambiances, dont plusieurs de ses tableaux dépeignent une scène de vie dans tel ou tel autre établissement suisse. Et quelle émotion fut la mienne lorsque, moi, d’origine sédunoise, j’ai découvert que le tableau servant d’affiche pour l’exposition représentait un homme dans le mythique café du Boulevard à Sion! Et je puis vous assurer que chaque visiteur trouvera, vraiment, un objet ou un lieu auquel est lié un morceau de sa vie.

M’a-t-on enfin corrompu pour montrer tant d’enthousiasme vis-à-vis de l’exposition? Assurément pas. Simplement, j’aime les cafés, comme vous tous; et quand une équipe y consacre un tel hommage, on ne peut qu’adhérer. D’autant plus que si la visite prend un air de nostalgie, même face à un temps qu’on n’a pas connu, elle laisse entendre par la joie de son atmosphère et son foisonnement de créativité que rien n’est perdu, et que les cafés, malgré les mutations, ne sont pas prêts de mourir et demeureront tant qu’il y aura soif, tant qu’il y aura société.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Indra Crittin pour Le Regard Libre


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