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La haute-couture, un monde fait de dérives et de désinformation6 minutes de lecture

par Hélène Lavoyer
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Le Regard Libre N° 46 – Hélène Lavoyer

Le secteur mode de l’industrie du luxe est un monde à deux visages. Le premier est hypnotique, esthétique. Il a bâti une image forte et lisse de la mode, en utilisant le savoir-faire et la rareté comme arguments pour justifier la valeur monétaire démesurée de produits d’une qualité soi-disant exceptionnelle. La seconde face, insidieusement cachée, se révèle injuste sur le plan éthique, en désaccord avec les valeurs prônées par les marques elles-mêmes.

Au début du mois d’octobre 2018, l’émission Cash Investigation publie une enquête télévisée sur cette autre face de la mode luxe. Celle-ci est réalisée par Zoé de Bussière, journaliste pour Premières Lignes Télévision, l’agence de presse et société de production ayant initié Cash investigation. Avec «Luxe: les dessous chocs», les groupes LVMH et Kering dévoilent bien malgré eux les conditions de travail des employés des tanneries italiennes, les lapins aux abcès et aux tocs désespérants, et la fortune inestimable amassée par ces groupes.

Le luxe, ce géant d’esthétique

Si LVMH – pour Louis Vuitton, Moët et Henessy – et Kering se sont vus visés par cette enquête, c’est parce qu’à eux deux, ces groupes possèdent la plupart des marques de luxe à renommée mondiale; Guerlain, Fendi, DKNY, Givenchy, pour ne citer que quelques marques, non pardon, quelques «Maisons», détenues par LVMH, et Gucci, Yves Saint-Laurent, Balenciaga ou encore Alexander McQueen, appartenant elles au groupe Kering. Normal, donc, qu’enquête soit menée sur ces géants au chiffre d’affaires de quelque quarante milliards d’euros et au bénéfice net de cinq milliards d’euros en 2017.

Dans le secteur mode et maroquinerie, les ventes sur des produits en fourrure et en cuir représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires de ces marques; les défilés que l’on retrouve aisément sur internet l’attestent, ces matières premières sont des éléments phares, et engendrent par leurs finitions précises, créatives et uniques une fascination qui oublie de questionner l’éthique derrière la production. Comment ces marques légitiment-elles la valeur de trente-cinq mille euros pour un sac à main, ou les presque treize mille de ce manteau Givenchy avec un imprimé léopard sur une fourrure d’agneau italien? 

«Afin de poursuivre leurs avancées, toutes les Maisons continueront de se concentrer sur la créativité de leurs collections, la qualité extrême de leurs produits, l’excellence de la distribution et de l’expérience client, l’amélioration de leur présence digitale et le développement de leurs ventes en ligne.»

Rapport financier semestriel 2018, LVMH

Leur stratégie repose sur l’idée répandue que la rareté d’un produit en fait sa valeur, et sur l’image du produit, sans cesse renouvelée, redorée, retravaillée à travers des campagnes publicitaires, véhiculant une image du luxe comme moyen par lequel l’individu affirme lui aussi son unicité. Bien sûr, tout n’est pas qu’image; les matières premières coûtent elles-mêmes plus ou moins cher et ont leur propre «hiérarchie de qualité». Pourtant, l’idée reçue qu’une marque de luxe est une garantie d’éthique et de qualité doit être combattue.

Le cas des sous-traitants et des ouvriers dans les tanneries italiennes

Qu’en est-il maintenant des conditions de production des produits de ces marques de luxe? A Santa Croce, en Toscane, se trouve ce qui est appelé la «République du cuir». A cet endroit, des tanneries ayant déclaré travailler pour des marques telles que Louis Vuitton, Hermès ou Céline. Dans ces entreprises sous-traitantes de LVMH, fabriquant un produit ou une partie de celui-ci avant qu’il ne soit fignolé dans les ateliers italiens ou français, les employés travaillent dans des conditions inhumaines.

Pourtant, le «Code de Conduite Fournisseurs» le stipule bien: «le Groupe LVMH attache une grande importance à ce que ses Maisons et leurs partenaires partagent un ensemble commun de règles, d’usages et de principes en matière d’éthique, de responsabilité sociale et de protection de l’environnement». Dans ce même code, le groupe renvoie aux normes établies par l’Organisation Internationale du Travail, qui mentionne une durée de travail maximale de huit heures par jour. Les employés (formés sur le tas) de la tannerie Thermoplak, pourtant, en font jusqu’à treize par jour sous une température de quarante degrés. 

Cette norme de huit heures, nous savons pertinemment qu’il n’y a pas que dans les tanneries du fin fond de la Toscane qu’elle n’est pas respectée. Dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie notamment, les employés finissent souvent épuisés par des horaires impliquant parfois jusqu’à quatorze heures par jour. Le caractère répandu de cette situation la rend-il acceptable pour autant? Non. Mais chez Thermoplak, il n’y a pas que l’horaire qui est discutable. Salaires impayés en plus d’être dérisoires, passages à tabac, transport machinal de peaux pesant dix à trente kilos, manipulation de produits chimiques dangereux sans gants ni protection pour les voies respiratoires, accidents…

«Ce jour-là, c’était la première peau que je travaillais. Je l’ai prise, je l’ai mise, la lame a bloqué une première fois. J’ai retourné, j’ai remis la peau, et… ça m’a pris. Ça a pris mes gants, et enlevé les phalanges de trois doigts. Le docteur m’a demandé ce qu’il s’était passé, et le responsable voulait mentir. […] Il a dit qu’une planche est tombée sur mes doigts.»

«Luxe: les dessous chocs», Cash investigation, 9 octobre 2018

Le bien-être animal et le respect de l’environnement, autres hypocrisies

Toujours dans son code de conduite, LVMH insiste sur la «mise en place des meilleures pratiques au long de leur chaîne d’approvisionnement en faveur du respect du bien-être animal». N’est-il pas naïf, au vu de la façon dont sont traités les employés, de croire à des bêtes bien portantes? N’est-il pas hypocrite de parler de ces soi-disant «meilleures pratiques» possibles les concernant, alors que même en Suisse où la plupart croient encore à l’image de la jolie vache Marguerite gambadant dans un pâturage d’herbe fraîche, les animaux d’élevage subissent des conditions d’élevage et d’abattage indécentes?

Il n’y avait pas besoin d’aller jusqu’en Chine pour trouver l’horreur. Mais, après le Danemark, le pays est le deuxième fournisseur mondial. A eux deux seulement (c’est le moment de reposer votre tasse de café sur la table), ce sont au moins trois cents millions d’animaux tués chaque année. En d’autres termes, des animaux que l’homme fait naître pour pouvoir les tuer. Pas si intègre et digne, le monde du luxe, surtout lorsque l’on voit ces lapins jetés dans les airs avant d’atterrir dans une benne avec une ou deux pattes cassées. Mais ni les riches qui vivent de la mode luxe ni la partie de la classe moyenne qui en rêve n’aiment se le dire.

A lire aussi: L’art, essence de la mode?

Ne serait-ce pas tout d’abord au bourgeois au bon vouloir duquel se plient ces groupes de se saisir de sa puissance économique afin de faire pression pour que cesse l’hypocrisie de personnes comme François Pinault, dont le milliard et quelques n’a d’autre odeur que celle de l’avidité? N’est-il pas temps que ceux dont la voix pèse à cause de leur compte en banque se lient en faveur de l’éthique malgré le coup que cela pourrait porter à la croissance? In fine et quelle que soit son appartenance sociale, le consommateur doit prendre ses responsabilités en faisant entendre sa voix et taire son porte-monnaie.

Ecrire à l’auteur: helene.lavoyer@leregardlibre.com

Crédit photo: © Le Regard Libre

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