Les bouquins du mardi – Anaïs Sierro
La promesse de prendre part à une rencontre amoureuse entre une Occidentale et un Japonais, masseur, qui «la réconcilie avec son corps, avec elle-même», a suffi à m’intriguer. Mais ce sont mes amours pour la pudeur japonaise quand il s’agit de sentiments et pour leur maîtrise de la poésie qui m’ont permis de dépasser ce titre certes beau (Lettre d’amour sans le dire), mais très risqué. Risqué, parce que parler d’amour peut très vite devenir fleur bleue, «et vas-y-que-je-m’ennuie». Après hésitation, j’ai osé prendre ce risque. Malheureusement, j’aurais mieux fait de repartir avec un de ces bons classiques qui ne me déçoivent que rarement…
Il y avait pourtant tout. Une jeune mère, qui paraît jeune, mais qui finalement ne l’est pas. Une idylle entre deux personnes issues de cultures différentes: l’européenne et la japonaise. Un personnage peu à l’aise dans son corps de femme et ses désirs, malgré sa maturité. Une volonté de partir à la rencontre de la culture de l’autre, et ce, avec passion. Une plume merveilleuse, avec un potentiel poétique criant. Et ce titre, ce titre! Cet enchaînement de mots qui nous promet le parcours de la pudeur japonaise, mêlé à l’exquis de leur poésie. Il y avait tout. Et voilà que j’ai déchanté, page après page. Désenchantement poussé à son paroxysme lorsque cette femme commence à parler de son passé dans cette – bien trop longue – lettre.
Je n’ai pas envie de m’attarder sur l’histoire même du bouquin, cette romance qui aurait tant mérité un peu plus de poésie. J’éprouve plutôt le besoin de pousser un grand coup de gueule sur le passif de ce personnage féminin. Cette femme est en désaccord avec son corps et ses désirs. Si cela s’arrêtait là, cette femme mature et touchante aurait pu être le miroir de chacune d’entre nous dans notre difficulté à accepter nos corps. Sauf que l’auteure Amanda Sthers en a décidé autrement. Elle nous place face à un père qui tripote les seins de la voisine ouvertement, un viol et une relation de soumission de laquelle est né un enfant, le rejet familial à l’annonce de cet enfant, un second viol par le voisin ivre aux doux vocables «t’es une belle salope en fait»… pour découvrir encore des attouchements sexuels de la part d’un grand-père.
Alors oui, tous ces actes me dégoûtent et me révoltent. Mais l’idée, là, c’était quoi? De prendre tous les pires faits divers pour les réunir dans un seul roman, dans un seul vécu, dans la vie d’une seule femme? Pourquoi? Pour la victimiser? Pour prendre son existence difficile au sérieux? Pour excuser son passé et son présent? Quelle est l’idée derrière ce déballage d’horreurs? J’ai tout bonnement eu l’impression qu’à travers cette liste d’événements, toutes les femmes qui n’avaient pas vécu tout ça, ou du moins un peu, se trouvaient décrédibilisées dans leur difficulté à vivre. De même que tous les hommes, d’ailleurs.
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Comme s’il fallait en baver pour être crédible dans un roman. Comme si la vie de tout un chacun n’était pas valorisable. J’avais peur de lire un roman gnian-gnian et fleur bleue. Finalement, ce livre est passé complètement à côté de sa lectrice, car le «féminisme choc», c’est comme les propos du voisin qui se plaint tout le temps: plus ça en fait, moins ça devient crédible.
Ecrire à l’auteure: anais.sierro@leregardlibre.com
Crédit photo: Anemone123 de Pixabay
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