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Est-ce que l’on ferait pareil si l’on devait recommencer?6 minutes de lecture

par Diana-Alice Ramsauer
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Pripyat, Tchernobyl © DR

Des milliers d’années après une catastrophe atomique qui a ravagé la planète, l’humanité se reconstruit. Est-elle condamnée à répéter certaines erreurs? C’est l’une des questions que pose le roman existentiel Crâl. Entretien avec son auteur suisse Alexandre Correa.

C’est un récit qui prend place dans un monde postapocalyptique, après Tchernobyl. Mais dans Crâl, l’explosion radioactive n’a pas seulement affecté toute une région, elle a dépeuplé l’Europe. Ne restent que quelques personnes survivantes au sud du continent africain et en Océanie. Le roman du Chaux-de-Fonnier Alexandre Correa débute quelques milliers d’années après notre époque, alors que l’humanité recommence son évolution, sur les débris de notre société contemporaine. Le personnage principal, Crâl, est l’un de ces rescapés. Rencontre avec le romancier lors de la 30e Fête du Livre de St-Pierre-de-Clages.

Le Regard Libre: Pourquoi avoir choisi un Tchernobyl poussé à son paroxysme comme point de départ de votre roman?

Alexandre Correa: Le scénario ne s’avère pas totalement irréaliste. Si les réacteurs en fusion avaient par exemple atteint la nappe d’eau accumulée par l’intervention des pompiers, le nuage de vapeur radioactif aurait eu des répercussions autrement plus graves. J’ai simplement exagéré un peu le trait. Cette catastrophe est pour moi très révélatrice de notre temps. La radioactivité représente le fléau moderne par excellence: elle n’est pas sensorielle, elle n’a pas d’odeur, pas de couleur, on ne la ressent pas. On ne l’a pas vu venir, on n’a pas tout de suite compris ses conséquences et on n’a certainement pas encore saisi la portée du problème.

Cràl fait partie d’une tribu nomade du continent africain qui a décidé de découvrir l’Europe. Une sorte de retour au début de l’humanité?

Oui, Tchernobyl, c’était le prétexte pour faire un «reset» global. J’avais envie d’imaginer le repeuplement de l’Europe via l’Afrique, comme aux origines. Mais en me demandant si nous aurions tout de même tiré des leçons de la catastrophe, si l’on recommencerait vraiment de la même manière…

Et alors?

Dans cette société, les anciens ne se souviennent plus tellement de ce qui a mené à la perte de l’humanité. Il leur reste des bribes. Ils savent que certaines choses sont taboues, que les ancêtres ont mal agi à un certain moment. Mais ils ont majoritairement oublié les causes. Sauf peut-être Cràl, qui comprend assez rapidement que certains réflexes ne devraient pas être répétés, même s’il n’a pas les références historiques.

Quels réflexes ne devraient pas être répétés?

L’un des membres de la tribu découvre par exemple comment réaliser de la céramique. Il crée alors de petits bols. Le problème? Il ne réfléchit pas si c’est un objet dont ils ont vraiment besoin. Reste que tout à coup, une certaine convoitise se développe. La notion de possession et de richesse émerge. Cela modifie les relations humaines. Et cela résonne avec Tchernobyl. On ne s’est pas vraiment demandé à quoi tout cela allait servir, «au fond». Nous inventons des outils sans nous poser les bonnes questions et nous répétons sans cesse les mêmes erreurs. Je suis convaincu que l’être humain n’est pas capable de sagesse.

Cette réflexion est encore plus présente lorsque la tribu de Cràl découvre le métal…

Cette société est nomade. Ses membres sont donc toujours en mouvement. Au cours de leur cheminement, ils trouvent des cannettes et des boîtes de conserve. Des reliques du passé. De vieux déchets. Ils les transforment en objets coupants. A ce moment-là, c’est comme s’ils atteignaient l’âge de Fer, voire celui de la métallurgie. Cela a été un énorme tournant pour la société.

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Ce qui est déroutant dans cette découverte des boîtes de conserve, c’est que les membres de la tribu sont persuadés d’être face à un produit brut, non transformé. Cela pose la question de l’essence du mot « naturel ».

C’est exactement ça. Ils n’ont pas les codes. Ils ne savent pas que ce sont des objets manufacturés. Ils les voient comme des éléments naturels, puisqu’ils les trouvent dans la nature. D’ailleurs, j’avoue que certaines discussions me fatiguent un peu à ce sujet. On parle de la nature comme si on n’en faisait pas partie. Alors qu’une ville comme New York, ce n’est rien d’autre qu’une fourmilière. Une fourmilière serait l’habitat naturel des fourmis, et une ville humaine serait artificielle ? Au fond, le vrai problème, c’est simplement qu’aujourd’hui notre habitat et nos artefacts sont envahissants pour la planète.

Selon vous, si l’on va un peu plus loin, est-ce qu’il vaudrait mieux éviter d’utiliser des expressions telles que «dénaturer le paysage»?

Le paysage, c’est une construction de l’être humain. C’est même une construction sociale. Je pense que derrière tout le discours sur la nature, il y a surtout cette idée qu’on s’en est détaché. C’est là qu’il y a un problème, que l’on fait fausse route. On accorde peu de place aujourd’hui au côté sensoriel de notre environnement. On a perdu ce lien. On offre une importance excessive à la réflexion, à la logique et plus du tout aux sensations.

Est-ce un roman écologique?

Pas particulièrement, même si c’est en toile de fond. C’est plutôt un roman existentiel et donc forcément lié à la nature. Disons que c’est un roman écologique par accident.

Dans votre livre, on n’a pas le fin mot de l’histoire, mais on imagine que c’est assez défaitiste.

Cette question du « recommencement » a un double sens. Soit on fait ce « reset » et on choisit un autre chemin. Soit l’humanité n’a rien appris. J’ai l’impression que c’est la deuxième option qui s’impose.

Ça fiche le bourdon…

Je suis profondément pessimiste, mais on retrouve également quelques pistes pour affronter cette noirceur. Le personnage de Crâl est très positif. Lui, justement n’accepte pas ce recommencement. Il refuse les emplâtres, les explications absurdes, les règles simplement énoncées par la hiérarchie, les grands mythes fondateurs. Crâl montre qu’il n’y a pas de fatalité. C’est là que je vois de la lumière. Tout comme la figure principale, il faut faire preuve de la lucidité face à l’autorité, à la religion. Ne pas se soumettre, et ne pas avaler tout ce qu’on nous donne à manger. C’est cela qui rend libre.

Ecrire à l’auteure: diana-alice.ramsauer@leregardlibre.com 

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