S’il est bien un domaine où le bon chic bon genre règne en maître, c’est la littérature. Pourtant, c’est le contre-pied total qu’ont pris Les Nouvelles Editions Humus avec leur collection «Damned», qui sacre le mauvais genre.
Lancée en janvier 2023, la collection Damned inaugure depuis le début de l’année sa saison 2 de littérature pulp. Très en vogue dans les années 30 aux Etats-Unis, la pulp fiction se matérialise sous forme de magazines ou de petits livres aux jaquettes criardes et bigarrées et au papier de piètre qualité, parfois rapiécé, vendus quelques cents. Ancêtre du roman de gare, le pulp (dérivé de woodpulp, qui veut dire pâte à papier) ne s’embarrasse pas d’ambitions littéraires grandiloquentes et ne cherche qu’à changer les idées de son lectorat, issu des masses populaires américaines. C’est donc cet âge d’or du XXe siècle que s’attachent à faire revivre Patrick Morier-Genoud et Stéphane Bovon, les fondateurs des Nouvelles Editions Humus. Ce dernier de résumer:
«On veut vraiment nourrir l’imaginaire des lectrices et lecteurs à bon marché et on veut leur faire du bien avec des histoires de cul, de science-fiction, de post-apocalypse, des histoires de zombies.»
Une saison de Damned, c’est douze titres, tous signés par des auteurs inconnus… ou presque. Car si les noms de Pierre Ronpipal, de Donnie Hawkins ou du Marquis Akira Von Thulé ne vous disent rien, c’est qu’ils sont en réalité des pseudonymes d’écrivains de la région s’étant prêtés avec malice au jeu. Et comme si le mystère loufoque ne suffisait pas, Tengu Teach, titre numéro 13 (soit le premier de la saison 2), est traduit de l’allemand par S.A., ancien titulaire de la chaire de littérature médiévale à l’Université de Genève et actuel concierge de la Fondation Martin Bodmer!
Douze titres par saison donc, qui se lisent de manière indépendante et qui font la part belle aux zombies, au gore, au western, à la science-fiction et au sexe. Vous n’y trouverez rien de consensuel entre ces pages, uniquement un attrait assumé pour le mauvais genre. Ames d’esthètes avertis, prière de s’abstenir!
Le plaisir de l’anachronisme
En plus d’être un retour aux sources de la littérature populaire, Damned s’inscrit aussi contre la sacralisation de l’objet-livre, en promouvant le vite-fait d’apparence cheap. Pour concentrer toute l’attention sur le texte. Et si le genre en lui-même est très XXe siècle, cela se prolonge même jusqu’au mode de consommation de ces opuscules: il suffit de s’abonner et chaque mois un nouveau pulpa atterrit dans votre boîte aux lettres, entre deux factures et trois tracts politiques. Bon, il est aussi possible de commander uniquement le numéro désiré, mais cela a nettement moins de charme.
A lire pendant un trajet en train, puis à laisser sur la banquette du wagon une fois terminé, pour un prochain lecteur.
Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
Vous venez de lire un article en libre accès, publié dans notre édition papier (Le Regard Libre N°108). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Damned
Nouvelles Editions Humus
2023 (saison 1)
2024 (saison 2)