Humoriste, romancier et réalisateur, Mourad Winter s’est fait connaître sur Instagram où ses stories ont fait hurler de rire (presque) tout le monde. Aujourd’hui, il publie Les Meufs c’est des mecs bien, au ton toujours aussi irrévérencieux. Mais à quel prix?
Wourad est en couple avec Adélaïde. Un jour, par ennui, il la trompe. Elle, de son côté, décide de se convertir à l’islam et de porter le voile. Comment arrivera-t-il à ne pas se faire attraper tout en évitant de passer pour un religieux radical qui impose sa vision à sa compagne dans le quartier?
Revenir après un premier roman à succès, qui plus est de très bonne qualité, c’est très compliqué. Tous les auteurs le diront. Mourad Winter a, lui, fait le choix de continuer dans la droite ligne de son livre L’Amour c’est surcoté: une écriture très orale, argotique, au ton léger et impertinent. En reprenant un personnage différent, mais avec le même nom, il décide de l’élever en archétype pour pouvoir parler de tout ce qui est problématique dans le monde actuel, tout en attaquant la bien-pensance. Si le choix est malin, voire le seul possible dans cette configuration, le résultat perd de sa superbe.
L’impertinence ne doit pas être le manque de pertinence
La force de l’auteur dans son premier roman était de présenter un personnage idiot et perdu, une sorte de chien fou adolescent refusant de grandir. C’était aussi l’occasion pour l’auteur d’égratigner à peu près tout ce qui l’énervait, tout en parlant de la réalité d’être arabe et musulman en 2023. Dans Les Meufs c’est des mecs bien, l’angle est équivalent, mais semble avoir perdu de sa verve, un peu comme si le soufflé d’air frais était déjà retombé. Les attaques contre les religions, les genres ou les physiques déjà présentes dans le premier livre sont ici presque des resucées plates au propos de fond quasi inexistant.
L’idée de base de présenter un personnage arabe, pratiquant occasionnel, face à une compagne catholique souhaitant se convertir et porter le voile est une excellente porte d’entrée pour un traitement de ces questions-là. C’est d’ailleurs ce que Mourad met en scène dans le premier tiers du livre. Le propos s’essouffle pourtant vite pour laisser place aux divagations et pulsions sexuelles de son protagoniste, afin de le mettre au pied du mur de sa vie conjugale.
C’est justement là le problème principal du roman: le personnage commet une action immorale dès la troisième page. Il semble donc compliqué de s’attacher à lui, puisque chaque choix, chaque acte, chaque parole, sera là pour couvrir sa tromperie. S’il est possible de construire un récit sur un personnage mauvais, il faut pourtant que l’histoire et la morale le servent et qu’il y ait un but. Ici, l’étalage de blagues (toujours aussi nombreuses, il faut reconnaître la performance) ne sert qu’à masquer un manque de pertinence scénaristique et un protagoniste lâche.
Une histoire sans fin
Outre son avalanche de blagues et de jeux de mots par page, le plus grand don de l’auteur tient à sa manière de parler de l’oppression de certains individus, en totale rupture avec le ton humoristique du texte. Les passages les plus marquants, tout comme dans L’Amour c’est surcoté, sont ceux où le romancier devient sérieux et annonce crûment les réalités de certaines personnes. Adélaïde veut porter le voile? Aucun problème, mais elle devra probablement lâcher son travail de directrice des écoles, accepter de se faire suivre par les vigiles des magasins, affronter sa mère catholique intégriste, etc.
«Michel a vite compris qu’en vérité, la gauche n’a jamais été faite pour nous. On y est allés naturellement, pour se démarquer de l’extrême-droite. En vrai, t’as pas plus sarkozyste qu’un mec de cité. T’en connais beaucoup, des fans de Tony Montana qui se contente d’un RSA (ndlr: revenu de solidarité active)? Pas moi.»
Mourad Winter tenait un superbe sujet pour élaborer un livre drôle et touchant, mais il s’est embourbé dans cette histoire d’adultère qui ne mène nulle part hormis sur les rivages de la misogynie. De plus, tout ce récit semble bien compliqué pour une fin abrupte qui ne résout en rien les enjeux installés. Mentions spéciales à deux personnages féminins secondaires, dont l’un n’est là que pour son physique avantageux et tentateur pour Wourad (illogique puisque la tromperie a déjà eu lieu dès les premières pages); et la femme avec laquelle le héros trompe sa compagne qui n’est décrite qu’en termes animaliers et moqueurs.
Reste que si l’on fait abstraction de son scénario illogique et de sa fin, Les Meufs c’est des mecs bien plaira probablement aux fans de la première heure.
Ecrire à l’auteur: mathieu.vuillerme@leregardlibre.com
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Mourad Winter
Les Meufs c’est des mecs bien
Clique Éditions
2023
324 pages