Article inédit – Fanny Agostino
A l’occasion de son passage à Neuchâtel pour un concert à la Case à Chocs, le rappeur toulousain Furax Barbarossa nous a accordé un entretien juste avant de fouler la scène. Celui qui a écrit les interludes de l’album JVLIVS de SCH et qui collabore fréquemment avec le Belge Scylla navigue à vue; l’horizon de Barberousse n’est jamais limpide. Malgré une présence constante dans le paysage du rap francophone, il demeure l’un de ces artistes en marge de l’industrie musicale. La tempête menace, l’œil reste aux aguets. La fougue, elle, est toujours présente sur la scène. Rencontre avec celui qui est considéré comme un écumeur de prose.
On connaissait le personnage par ce qu’il livre dans ses textes. Dans son titre le plus emblématique Qui m’demande, l’interprète annonce la couleur: «S’il fallait qu’j’me décrive en quelques mots. J’vous dirais: grand, roux schizo’. Cris, tête de mort, rimes, sang, trous ciseaux.» Pourtant, le Toulousain aux origines corses est loin d’apparaître comme un forcené: tout de noir vêtu, chaussettes Adidas remontées sur son training, Furax est dans un coin de la pièce. Peut-être attend-il nos questions au tournant. Il faut dire que les interviews le concernant sont peu nombreuses. Ses prises de paroles sur les réseaux sociaux se font discrètes. Furax n’est pas de ceux qui drainent l’attention sur eux. L’œil noir est attentif, méfiant. L’homme prend son temps pour répondre, mais ne tergiverse pas avec le choix des mots. Les détours et les longues paraboles ne sont pas de sa trempe. Les réponses sont directes et sans ménagement, comme il sait le faire lorsqu’il écrit.
L’isolement face au confinement
A l’inverse d’autres artistes, Furax a profité d’une certaine exposition pendant la période du confinement. Chaque semaine, il a livré à son public numérique des freestyles d’environ une minute. Une idée qui a émergé d’un sentiment partagé par tous à l’époque: «J’étais chez moi et je m’ennuyais. C’est parti de cet ennui et comme j’ai tout le matériel chez moi pour enregistrer, je me suis dit que tous les mardis j’allais faire un truc. C’était le rendez-vous avec tout le monde […] Pendant ce confinement, j’ai pris 20’000 abonnés d’un coup. Les gens étaient chez eux, ils cliquaient, ils allaient voir ce qu’il se passait.»
Un succès qui s’est transformé en une mixtape nommée «A l’isolement». Sur la pochette, on l’aperçoit dédoublé dans un salon, allongé avec un livre, suspendu dans les airs tel un yamakasi ou encore casque vissé sur les oreilles en train d’enregistrer. Au fil de courtes assertions, Furax converse avec lui-même, sur des thématiques qui sont propres à la réflexion et à cet enfermement vécu par tout un chacun: «Beaucoup de gens se sont retrouvés dans les textes, mais en vérité ce sont des thèmes que j’emploie assez souvent.» Il y évoque la mort, la folie, la paternité, mais aussi le climat du débat politique français. Pour le rappeur, ces sujets sont loin d’être étrangers à ses autres productions: «Les thèmes que j’aborde dans cette mixtape sont ceux que j’aborde dans mes albums. Sauf que là, ça parle encore plus aux gens. J’ai joué aussi sur le fait que l’isolement se rapproche de la folie avec des personnages un peu fous, qui entendent des voix.»
Un rapport à l’écriture décentré du «oim»
Le rap de Furax se démarque largement de l’image stéréotypée de la dernière décennie, celle adulée par la jeunesse biberonnée à YouTube. Celle qui se met en scène devant des barres d’immeubles, en bandes armées jusqu’aux dents exhibant billets de 500 euros et vêtements haute couture… A contrario, l’univers du rappeur toulousain est morbide, tourné vers soi certes, mais vers l’intérieur. Une introspection dans laquelle on se noie, et d’où on ne ressort qu’in extremis. Cet univers inquiétant et mortuaire évoque pourtant une palette largement représentée par le rock et ses sous-genres. On pense à l’expérience d’écoute offerte par l’album The Downward Spiral de Nine inch nails, mais aussi plus amplement au metal, galvanisé par un lexique guerrier et parsemé de figures funestes comme la faucheuse ou Satan.
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Une incidence du macabre plus fortuite qu’esthétisée pour Furax: «Ce n’est pas un calcul. J’écris ce qui me vient. Je ne me dis pas je fais du noir donc je dois faire du noir en permanence. Cela vient de mon parcours, de mon enfance surtout. On porte tous un poids, et moi je ne me vois pas faire autre chose que ce genre de musique.» Dans ses textes, la mort est un refrain persistant. Souvent personnifiée, parfois disséquée, presque chaque texte l’évoque: «La mort, c’est quelque chose qui m’obsède. Tous les jours j’y pense. Ce n’est pas un calcul de ma part, cela se fait naturellement. Je crois que je ne pourrais jamais faire autre chose même si mon rap n’est pas suicidaire car il y a toujours une note d’espoir.»
A bout de nerfs, tendu comme c’est pas permis
Je préfère mourir en soldat que pendu par un tas de vermines
Va-t’en! Je suis poussé par Satan, à ce qui paraît
Que le ciel m’attende, c’est un sale temps pour disparaître
(A l’aube de l’enfer)
Appropriation culturelle? «J’en ai rien à foutre»
Publié en 2020, son dernier EP Cha O Ha met en scène un imaginaire puisé dans la culture amérindienne. La violence y est résolument présente, tout comme les thématiques liées aux incantations et à la folie. Le titre Crazy Horse se réfère à la figure indienne, connue dans les représentations culturelles notamment dans l’âge d’or des westerns américains. Ce choix n’a rien d’étonnant si l’on examine le penchant du rappeur pour les emprunts cinématographiques. Certaines références, toutes des figures masculines charismatiques, sont fréquemment employées et revendiquées dans les textes, mais également dans les clips. On peut citer le visuel de Mona Lisa où Furax incarne un gangster gentleman, ou la figure du Viking impétueux dans Le poids du mal.
Ce goût pour le septième art revendiqué par l’artiste s’est pourtant heurté à une problématique. Pour promouvoir le titre Crazy Horse, l’artiste s’est montré dans un clip où il est grimé en indien. Son corps apparaît à l’écran recouvert de peinture noire, la tête ornée d’une coiffe à plumes. Le regard est désaxé, effrayant. Une représentation de la figure amérindienne qui a soulevé des critiques: «Mon label a été obligé d’interdire la diffusion du clip Crazy Horse au Canada parce qu’il y a eu des plaintes, alors qu’il s’agit d’un Amérindien.» Une polémique peu comprise par le Toulousain qui préfère revendiquer ses choix: «Des mecs ont voulu surfer sur l’histoire. Je suis désolé de les avoir choqués mais j’en ai rien à foutre. Je fais du cinéma et dans cette logique on arrête les westerns, on arrête tout. L’appropriation culturelle a ses limites. Je n’ai voulu offenser personne et si certains se sont sentis offensés, tant pis.»
Je suis le son du tomahawk ouvrant, soulevant les crânes
Me, me faire du tort dès demain, n’envisage pas
Nan, moi découper torse et mettre main dans visage pâle
Il te faudra fuir la ville que la mort sans cesse traque quand s’abat l’soir
(Crazy Horse)
Le flow et l’existence sur le fil du rasoir
Son énergie, Furax la dédie à d’autres priorités. L’une d’elles paraîtra énigmatique tant les assises du rappeur semblent acquises. En dehors de l’écriture et de ses concerts, l’homme a jonglé pendant longtemps entre son statut d’artiste et la contingence: rappeur la nuit, chauffeur poids lourd la journée. Avant le début de la crise sanitaire, Furax avait pris la décision de se consacrer pleinement à la musique. Une décision qui reste aujourd’hui difficile à tenir: «Depuis trois ans, je suis intermittent du spectacle. Cela ne va pas durer car c’est une situation précaire et je ne gagne pas ma vie. J’ai clairement le statut d’un pauvre en France, en dessous de 1000 euros par mois, et ce n’est pas vivable. Je vais repartir au travail.»
Cette existence en dents de scie se retrouve aussi dans les textes. Pour ce qui est de l’EP Cha O Ha, cette fragilité est tangible par la menace qui semble peser sur l’atmosphère. Flat Line et Long Fleuve Tranquille évoquent l’équilibre précaire de l’existence: «La vie, c’est la roulette russe tous les jours. C’est ce qui peut nous arriver à tous, on peut partir à tout moment. Flat Line, c’était un jeu de mots entre ce fil sur lesquels les jeunes s’amusent à tenir en équilibre et la ligne continue qu’il y a sur l’oscilloscope quand un homme meurt. La vie ne tient qu’à un fil.»
J’suis d’ceux qui vivent en équilibre sur la sangle tendue
Un pied devant l’autrе, j’avance le long d’la corde raidе
Ces gens qui s’y balancent de gauche à droite me semblent pendus
(Flat line)
Pourtant, l’artiste peut compter sur ses fans. Très actifs sur les réseaux sociaux, ceux-ci ponctuent souvent les messages ou les vidéos de l’interprète par des commentaires nourris du regret de ne pas voir leur artiste préféré décoller. Si ce soutien infaillible réjouit Furax, celui-ci constate tout de même une nécessité de s’éloigner d’eux à cause des réseaux sociaux: «Le soutien de mes fans a été important, mais je suis quelqu’un d’assez sanguin et un commentaire peut me gâcher la journée. Un guignol qui ne sait pas de quoi il parle, qui ne me connaît pas et qui juge ma vie et mon passé peut très vite gâcher ma journée. Je ne lis plus les commentaires et je ne m’occupe plus des retours.»
Furax reste cependant actif sur Instagram où l’ambiance lui semble plus saine. C’est d’ailleurs sur la plateforme appartenant à Facebook qu’il a gagné de nombreux followers pendant le confinement… avant de se faire pirater son compte: «J’ai perdu tout ce que j’avais gagné pendant le confinement. J’ai travaillé un peu pour rien mais je m’en fous, je ne suis pas une influenceuse. Même si c’est mon arme de guerre parce que les gens vont se baser là-dessus… Aujourd’hui, j’aurais 50’000 followers. Si les gens voient qu’il y a 50’000 followers ils te prennent au sérieux alors que 27’000 cela correspond à un mec standard.» Cette course aux followers lui semble d’ailleurs apparaître comme la nouvelle norme de crédibilité permettant d’accroître sa notoriété dans la musique: «Aujourd’hui, c’est l’image qui compte, on ne peut pas s’afficher avec un mec qui a 200 followers alors que toi tu en as 200’000. C’est le problème dans la musique, mais aussi dans la vie de tous les jours; les pauvres ne se mélangent pas avec les riches.»
Les années passent, et malgré les nombreuses galères d’infortune, Furax Barbarossa répond toujours présent. La preuve en est ce soir-là avec son show d’un peu plus d’une heure, accompagné sur scène par 10vers et Toxine avec qui il travaille depuis de nombreuses années, notamment autour du collectif toulousain Bastard Prod, dont l’emblème est un chien à trois pattes.
La persévérance et le plaisir de la scène
La désinvolture avec laquelle Furax répond pour l’interview tranche avec le plaisir qu’il prend sur scène. Loin de pouvoir booker ses dates selon ses envies, le pirate vogue au rythme du refrain de Qui m’demande?: «Je ne choisis pas où je joue, je n’ai pas ce luxe-là. Je réponds à une demande. Je viens avec mon cœur, parce que la scène c’est mon kiff.» Ce soir-là, son titre phare sera d’ailleurs repris par toute la salle et quelques spectateurs qui viendront interpréter le titre sur scène avec le rappeur.
Si ce n’est pas déjà fait à l’heure où vous lisez ces lignes, le successeur de Testa Nera – sorti en 2014 – devrait être sur le point d’être disponible: «Le prochain album est au mixage. Ce sera prêt dans quelques semaines. On est en train de travailler sur des clips. La pochette est terminée. On n’a jamais été aussi proche de la sortie du projet. Quant à moi, je continue à écrire quasiment tous les jours et je prépare déjà la suite.» Une suite qui permettra peut-être au Toulousain d’atteindre les sommets escomptés depuis des années, sans pour autant trahir une écriture sombre et brute, portée par une voix gutturale et mécanique, dont on aime penser qu’elle est avant tout animée par la verve d’être en vie.
J’sais pas faire sans caner l’homme, garde tes lovés
Gros ça cogne façon Canelo, j’envoie du gras dès l’aube
Mon rap fait le bruit des presses mécaniques, j’sais pas s’tu m’entends
Je suis brute épaisse, mes canines dépassent du menton
(Presse mécanique)
Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com
Image d’en-tête: Furax Barbarossa à Neuchâtel, février 2022 © Adrien Faivre pour Le Regard Libre