Les lundis de l’actualité – Jonas Follonier
Nous avons parfois tendance à penser que les évolutions, qu’elles soient sociétales, musicales, techniques, se font au jour le jour, petit à petit, par une série de minuscules changements qui, une fois additionnés, en forment un grand. Mais il n’en est rien: les grandes révolutions se font à des moments précis de l’Histoire. La mort de Chuck Berry survenue ce samedi 18 mars 2017 nous invite à voyager vers la fin des années cinquante, un moment charnière dans l’histoire du rock and roll, pour comprendre ce que cet homme-là a changé dans la destinée de la musique la plus influente qu’il y ait jamais eue.
Les différents médias qui ont rendu hommage à Chuck Berry l’on présenté comme l’un des Pères tantôt du rock ‘n’ roll, tantôt du rock, ne sachant même pas eux-mêmes quelle est la définition de ces deux termes. En réalité, si l’on considère le rock and roll comme une évolution de rhythm and blues avec une synthèse du blues et de la country, alors Chuck Berry n’est pas l’inventeur du rock and roll, mais il reste incontestablement (avec Fats Domino et Little Richard) l’un des trois créateurs d’une certaine forme de rock and roll.
Il s’agit du genre musical qui sera prêt à se diriger par la suite vers le rock que nous connaissons, influencé par le folk, le blues et bien sûr la pop. Le rock des Rolling Stones, de Led Zeppelin, des Pink Floyd, chaque groupe ayant bien sûr ses propres influences. Le rock and roll de Berry est une musique mettant en valeur les solos de guitare limpides, les paroles citoyennes simples mais importantes, le consumérisme et l’adolescence des nanas et des bagnoles.
De Maybellene à Rock and Roll Music en passant par le fameux Johnny B. Goode, c’est un véritable système qui se met en place à la fin des années cinquante. Une musique qui fait sens, qui laisse de la place à l’interprète, lui donne un relief, qui sait manier les arrangements pour qu’un équilibre parfait s’établisse entre les différentes guitares, la basse, la batterie, le piano, la voix et parfois l’harmonica. Le rock de Chuck Berry, le bon rock, donc, le vrai, est d’abord une expérimentation sonore. Celui qui fait du rock cherche des sons.
A part le chanteur français Christophe, qui cherche encore des sons aujourd’hui? Peut-être est-ce là la raison du déclin actuel du rock en général. L’ancien rédacteur en chef du magazine Rock & Folk, Philippe Manœuvre, a raison: il y a un désamour du peuple européen à l’égard du rock. Mais d’où vient cette lassitude? Sans doute du trop plein de possibilités, du trop plein de supercheries informatiques, que nous connaissons à notre époque. Le rock n’avait un sens qu’au temps où le musicien lambda ne pouvait pas réaliser un album chez lui, tout seul, mais devait travailler comme un fou, innover, pour ensuite convaincre un label.
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Au-delà de ces considérations, le décès de Chuck Berry est celui de notre père à tous. Parce que, oui, le rock fait partie de notre identité musicale. De la même manière que, croyants ou non, la révélation chrétienne nous conditionne, la révolution du rock and roll nous conditionne, que nous aimions ce style de musique ou non.
Je pleure donc d’autant plus la mort du vieux Noir, parce qu’elle porte en elle la mort du rock. C’est la fin d’une époque; nos enfants n’écouteront plus Johnny B. Goode. Nous ne sommes d’ailleurs plus beaucoup à le faire. Mais rassurons-nous: la minorité a parfois raison.
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