Les lundis de l’actualité – Jonas Follonier
Aurélien Cotentin, devenu Orelsan (composé de « Orel » pour Aurélien, et « san », un suffixe japonais utilisé à l’oral comme marque de cordialité) , a reconquis le public et la presse francophones. C’est le moins qu’on puisse dire. Très vite marginalisé pour la violence de ses textes, le rappeur français a opéré une remontée spectaculaire dans l’opinion, amorcée par Le Chant des sirènes sorti en 2011 et confirmée par son nouvel album, La Fête est finie.
L’ensemble de la presse, qui déjà saluait « la maturité » du « nouveau Orelsan », n’a pas caché son enthousiasme et son admiration lorsque le trentenaire a obtenu un triplet lors de la trente-troisième cérémonie des Victoires de la Musique, ce vendredi 9 février 2018. On se réjouit à l’unisson d’une véritable consécration de l’artiste normand, mais aussi du monde du rap et du hip-hop de manière générale, qui obtient enfin la place qui lui est due dans l’univers de la musique francophone, à savoir le premier rang.
Ces récompenses sont-elles méritées ?
Une question, cependant : Orelsan mérite-t-il les trois Victoires de la musique qui lui sont revenues, celles de la meilleure création audiovisuelle, du meilleur album de musiques urbaines et du meilleur artiste masculin ? Il ne s’agit pas de remettre en question la popularité d’un genre qui ne serait pas à notre goût, mais de s’interroger sur l’unanimité des critiques. Affirment-ils réellement trouver chez Orelsan une qualité artistique, notamment musicale, qui de surcroît surpasserait les autres artistes en lice, comme Bernard Lavilliers ?
Il est véritablement difficile de soutenir une telle ineptie. Orelsan a un certain talent, on peut le reconnaître sans trop de difficulté ; mais de là à ériger le rappeur au sommet de la scène musicale, il y a un monde. A l’écoute de l’album, Tout va bien sonne comme un titre rendu le plus lisse possible pour ramasser un public hétérogène et, pourquoi pas, remporter une Victoire de la musique. Voilà qu’on le récompense. Tout va bien.
Basique, premier single sorti le 20 septembre 2017 pour annoncer la sortie de l’album, nous rappelle un fondamental, une donnée basique : le rap est un art mineur. Ses textes, simplistes à l’extrême mais enracinés dans une réalité urbaine qui est bien là, correspondent certainement aux attentes de toute une catégorie de personnes. Il n’y a rien de mal à cela. Mais pourquoi devrait-on considérer le rap comme la nouvelle chanson française et même comme le summum de ce qui se fait en musique actuellement ? La critique musicale serait-elle devenue folle ?
Il n’est même pas sûr que l’on puisse encore parler de critique musicale, quand nous avons affaire à un artiste qui ne témoigne d’aucune innovation musicale et qui, rappelons-le, est l’auteur de ces phrases : « Je vais te mettre en cloque et t’avorter à l’opinel » (Sale pute, 2009), « J’ai abandonné ces chiennes sur le bord de la route / C’est moi qui devrais avoir des doutes parce que tu les baises toutes. » (Paradis, 2017) Peut-on véritablement se réjouir du fait que c’est désormais sur ce genre de couplets que chantent ensemble papa, maman et leur jeune fille, dans la salle pleine à craquer de l’Arena ?
Quelques bons points
Tout n’est pas à jeter, loin de là. Nous le disions : Orelsan a un certain talent. Les clips des deux single précédemment cités sont de vraies réussites. Et dans son interprétation de San vendredi aux Victoires de la Musique, il y a évidemment quelque chose. De belles fulgurances, notamment : « Je me fais à l’idée d’aller jamais mieux » ou « J’ai mis la moitié de ma vie pour savoir ce que je veux. » Et une âme, une certaine puissance d’expression qui semble jaillir de l’artiste. Mais cela ne suffit pas pour obtenir les Victoires.
De plus en plus, les journalistes culturels semblent se sentir investis d’une mission : épouser le changement de la société et légitimer par leur autorité tout ce qui est marginal, irrévérencieux, contestataire, à mille lieues de nos références communes définissant ce qu’est le beau et ce qu’est l’art. N’y a-t-il pas un paradoxe dans cette sainte alliance entre les donneurs de médailles et les artistes qui provoquent, qui questionnent, comme si cette attitude seule était gage de qualité ? Le provocateur n’est-il pas là pour justement ne pas être adulé ? « La fête est finie », nous dit Orelsan. Une chose est certaine, la fête de la chanson française est bel et bien finie.
Ecrire à l’auteur : jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo : Wikimedia Commons, CC BY 2.0
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