Mercredi, le Conseil d’Etat valaisan a annoncé une série de mesures drastiques pour lutter contre le Covid-19. Fermeture des clubs, cinémas et autres théâtres, interdiction des sports de contact, fermeture des cafés et des restaurants à 22h00… Le Valais est ainsi le premier canton à avoir lancé cet ensemble de nouvelles mesures que toute la Suisse romande ou presque a mis en place depuis, chaque canton à sa sauce. Jeudi, l’UDC Valais a publié un communiqué où le parti appelle à un débat démocratique sur ces nouvelles mesures. Aux yeux de la formation cantonale, les intérêts de la population dans son ensemble ne sont pas assez représentés et d’autres solutions aux problèmes de la pandémie existent. Nous en discutons avec Cyrille Fauchère, président de l’UDC Valais et conseiller municipal à la Ville de Sion où il est en charge de la sécurité publique.
Le Regard Libre: Comment en êtes-vous arrivés à la conclusion qu’un débat démocratique s’imposait au Grand Conseil sur les nouvelles mesures sanitaires prises par le Conseil d’Etat valaisan mercredi?
Cyrille Fauchère: Cela fait déjà plusieurs fois que nous demandons au Conseil d’Etat d’expliquer sur quelles bases légales il prend ses décisions. Il y a deux aspects. D’une part, il s’agit des décisions que prend le Conseil d’Etat vis-à-vis de la population: la limitation de nombre de personnes pour un repas, la fermeture des fitness, des églises, etc. D’autre part, le Conseil d’Etat donne des compétences aux communes pour la surveillance, la réprimande et la dénonciation. On ne sait pas sur quelles bases légales s’appuie le gouvernement cantonal pour prendre ces deux types de mesures. Quand j’ai posé cette question au parlement au mois de septembre, on m’a répondu que les événements extraordinaires permettent d’utiliser le droit d’urgence et que le droit d’urgence permet de prendre des décisions sans bases légales. Les différents élus que nous sommes à l’UDC contestons cela. Nous voulons un débat démocratique sur les mesures sanitaires.
Sur ce thème-là, l’UDC Valais est seule. Regrettez-vous que d’autres formations politiques ne vous suivent pas dans cette démarche?
Nous constatons effectivement que nous sommes seuls du point de vue des partis. Le fait que nous ne soyons pas représentés au gouvernement peut expliquer cette situation. Nous pouvons regretter que nous ne soyons pas soutenus, mais cela ne nous étonne guère. Nous avons l’habitude! Cependant, on voit sur les réseaux sociaux que beaucoup de gens vont dans notre sens. Il y en a évidemment aussi beaucoup qui ne sont pas d’accord avec nous, cela fait partie du jeu démocratique.
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Comment analysez-vous les mesures prises par le Conseil d’Etat?
Je les vois surtout comme un refus de sacrifier certains secteurs économiques. Pour redonner un peu d’oxygène au secteur touristique, qui a effectivement beaucoup trinqué, le Conseil d’Etat prend des mesures massues. J’espère tout comme nos ministres qu’elles permettront de rendre notre hiver le plus normal possible, mais je constate que cela va se faire sur le dos des cinémas, des théâtres, etc. En lisant entre les lignes, on comprend que les restaurateurs se sont refait une santé cet été et que c’est maintenant à leur tour de payer l’addition. Cette manière de voir les choses ne nous satisfait pas.
Dans le communiqué de l’UDC Valais paru jeudi, il est écrit que, selon votre parti, les nouvelles mesures du Conseil d’Etat ont été prises à la va-vite. Qu’est-ce qui vous fait dire ça?
Cela fait presque deux mois que le Canton de Vaud a réimposé les masques dans les commerces. En Valais, le discours officiel consistait à dire que nous n’avions pas besoin d’en arriver là. Tout à coup, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une augmentation des cas, alors on a décidé par après, en retard. Tandis que les autres cantons ont plutôt pris des mesures progressives, le Valais se retrouve à devoir prendre des mesures que je qualifie de massues.
C’est-à-dire?
Il y a eu trois communiqués de presse en cinq jours où le message est passé de «faites attention» à «on ferme tout». Nous ne comprenons pas cette logique qui consiste à dire qu’à 22h00, être dans un restaurant est plus dangereux qu’à 20h30. Nous ne comprenons pas cette idée qu’être dans un fitness, même à dix, serait plus dangereux que d’être dans un restaurant. Et comment justifier qu’on ne puisse être que dix à la Cathédrale de Sion et aussi dix à la chapelle du village? Il y a un côté «deux poids deux mesures» qui nous déplaît fortement. L’UDC VS appelle à plus de proportionnalité.
Finalement, vous aurez ce que vous souhaitez car le Conseil d’Etat a annoncé que le Grand Conseil devait siéger. Qu’espérez-vous de ce débat démocratique que vous avez appelé de vos vœux? Que des propositions de mesures alternatives soient mises sur la table?
Déjà, tout un chacun viendra défendre son secteur de métier, ce qui permet une vraie pluralité. Ensuite, il s’agit de se dire: allez, on fait tous un effort, on est tous à la même enseigne et on sort tous de cette crise de la même manière. Avec les mesures actuelles, certains fitness devront peut-être mettre la clef sous le paillasson, par exemple. Je vois avec les autorisations d’exploiter que nous délivrons à la Ville de Sion qu’elles ont chuté: les gens ne demandent plus d’autorisation d’exploiter car ils ne savent pas où ils vont. Avec une validation des mesures par le Grand Conseil, qui est encore le souverain jusqu’à preuve du contraire, la politique d’urgence menée par le Conseil d’Etat sera déjà plus claire. Et surtout plus légitime. C’est le parlement qui représente la population, pas le gouvernement.
Votre communiqué n’est pas seulement dans l’attaque. Vous proposez des pistes de stratégies que vous estimez préférables: la fin des atteintes à la liberté individuelle de tous et une protection des personnes vulnérables, qui rendraient possible une immunité collective. Hier vendredi 23 octobre, on apprenait dans Le Temps que trois épidémiologistes de grandes universités américaines ont publié un texte, la Déclaration de Great Barrington, réclamant de changer de stratégie pour contrer la deuxième vague. Les mêmes mesures que vous proposez sont listées. Même si vous avez raison, n’est-ce pas trop tard pour changer totalement de cap?
C’est une bonne question et je n’ai évidemment pas de réponse étayée à vous fournir. Il faut tout de même reconnaître que depuis le début de la crise, on entend le chaud et le froid. Il y a le professeur Raoult contre les autres; les cliniques privées affirment, par la bouche d’Antoine Hubert, qu’il faut supprimer la task-force; l’ancien médecin-chef de l’Office fédéral de la santé dit dès qu’il part à la retraite que, si ça n’avait tenu qu’à lui, il n’aurait pas fermé les écoles… Nous, les politiques, et les citoyens de manière générale, nous ne savons pas tellement de quel bois nous chauffer.
Pourtant, vous proposez des mesures…
Avec l’UDC Valais, nous proposons donc la stratégie que vous décrivez parce que nous avons lu et entendu que cela avait pu avoir des effets positifs dans d’autres pays, par exemple la Suède, et qu’effectivement une partie de scientifiques y est favorable. Maintenant, on voit que cette méthode n’a pas du tout fonctionné aux Pays-Bas. Il n’y a donc pas de solution miracle et cela, nous le concevons tout à fait. Ce que nous voulons, c’est de pouvoir en discuter et peser les intérêts des uns et des autres. Il faut mettre toutes les propositions sur la table.
Comment interprétez-vous la polarisation de la société suisse au sujet des mesures sanitaires, sur les réseaux sociaux tout du moins?
Je pense que cette polarisation est à mettre en miroir avec la confiance qu’ont les citoyens envers les institutions. Ceux qui sont les plus critiques sont les libertaires de gauche comme de droite et ceux qui sont les plus obéissants sont les fidèles du système. Rien de nouveau sous le soleil!
Contester les mesures dictées par l’exécutif comme vous le faites, cela n’ajoute-t-il pas du beurre aux épinards de la polarisation?
Vous prêtez trop de force à la parole de l’UDC du Valais romand (Rires). Au contraire, ce dont j’ai l’impression, ayant reçu quelques messages, c’est que nous nous sommes faits le porte-parole d’une minorité qui est un peu écartée. Et de cela, je suis assez satisfait. Nous savons, en tant que parti d’opposition, que nous n’allons pas inverser la tendance. Ce que nous déplorons avec mes collègues de parti, c’est un manque de débat.
Ce manque de débat, où le voyez-vous?
Dans des exemples très factuels au niveau politique. En juin, le parlement n’a pas eu le droit de débattre sur le compte-rendu du Conseil d’Etat. J’ai appelé cela la «séance laudatio»: les cinq membres de collège ont passé des heures à dire à quel point ils avaient tout fait juste. En même temps, ils nous ont dit: pas de questions, mais promis, on organise une session pour le mois de septembre. Il y a eu en effet un après-midi où une cinquantaine d’interpellations, de postulats et de motions ont pu être débattus. Puis, à la séance du Grand Conseil d’octobre, on nous a interdit de poser des textes législatifs, sous prétexte que nous étions en retard et qu’il s’agissait d’une session extraordinaire. Alors que, cette année, nous aurons eu six sessions comme chaque année! Il y a une volonté politique d’arrêter de papoter au sujet du Covid-19.
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Le manque de débat démocratique que vous dites constater, l’avez-vous aussi constaté dans les médias?
Je reproche en premier lieu aux médias d’être des vecteurs d’alarmisme, avec des journalistes devenus tous experts du Covid. Et ce discours volontairement conformiste s’inscrit dans une analyse à sens unique, ayant pour effet un manque de débat comme en politique. Les médias se croient avoir le monopole de la bonne parole. Dans Le Nouvelliste, notre communiqué n’a fait l’objet que d’un petit encadré. Mais là encore, en tant qu’UDC, je dois dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
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