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«King Kong théorie», merci Virginie5 minutes de lecture

par Le Regard Libre
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Les bouquins du mardi – La rétrospective de la littérature – Amélie Wauthier

Virginie Despentes publie King Kong Théorie en 2006. A l’époque, j’étudiais aux Beaux-Arts de Bruxelles et refusais catégoriquement de me considérer comme une «féministe». Ces harpies agressives et enragées dont les actions extrêmes et violentes font plus de mal à la cause des femmes qu’autre chose? Non merci! C’est marrant comme avec les années, les choses peuvent évoluer ou ne pas changer. C’est fascinant comme on peut, en dépit de tout, être pétrie de tellement de clichés et a priori que parfois toute une vie ne suffit pas à éradiquer. C’est effarant, encore aujourd’hui, de se dire que le combat n’est pas terminé et de loin pas gagné.

«J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre.»

Dans cet essai, Virginie Despentes nous livre sa vie, ses réflexions, son parcours de la combattante. Jeune punkette émancipée, elle nous raconte comment elle s’est faite interner à quinze ans, violer à dix-sept, avant de se prostituer, occasionnellement. Dans le plus grand des calmes. Au fil des pages, elle aborde des thèmes tels que la maternité, l’Etat fasciste, le capitalisme, la virilité, la domination, l’orgasme féminin, l’éducation, etc. Ses mots sont fluides, parfois crus, parfois touchants, souvent percutants. On découvre que celle qu’on a tendance à considérer comme une grande gueule féministe ne l’a pas toujours été. Elle l’est devenue. Que Virginie Despentes, l’insoumise, s’est également retrouvée à douter d’elle, à désirer des choses «de femme».

«Ça n’a pas été une décision consciente. Plutôt un calcul de survie sociale. Limiter les mouvements, physiquement, préférer les gestes doux. Ralentir la diction. Privilégier ce qui ne fait pas peur. Devenir blonde. Refaire mes dents. Me mettre en couple, avec un homme plus vieux, plus riche, plus connu. Vouloir un enfant. Faire comme ils font.»

Car les constructions culturelles et sociales qui perpétuent l’aliénation de la femme ont des racines profondes et ancestrales. Que ce soient les Dieux de l’antiquité qui violent quasiment toutes les femmes qui croisent leur chemin, les soldats qui humilient les épouses de leurs ennemis tombés au combat, la culture du viol ne s’explique pas qu’à travers l’émergence des films pornographiques de mauvaise qualité.

Pourquoi le sexe est-il considéré comme dégradant pour les femmes et la sexualité des hommes doit-elle susciter la peur? Qu’y a-t-il de si effrayant dans la prostitution pour que ses détracteurs fassent preuve d’autant de zèle pour l’interdire? Ne cause-t-on pas davantage de tort aux actrices porno en leur refusant des conditions de travail descentes qu’en légalisant la pornographie? Est-ce que le réel danger de la monétisation de la sexualité féminine ne viendrait pas du fait qu’elle contribue à l’indépendance sexuelle et économique de la femme? S’offrent alors à elle d’autres alternatives que le mariage, institution archaïque au sein de laquelle la femme a longtemps été – et est encore trop souvent – dépendante, soumise et contrôlée.

Ses mots résonnent en moi. Jamais je n’avais mis autant de temps à lire un bouquin de si peu de pages. Jamais je n’avais souligné tant de phrases, pris autant de notes. Je me questionne sur les raisons qui ont fait que je n’avais encore jamais lu la moindre œuvre de Virginie Despentes auparavant. Je m’étais bien procuré son film, Baise-moi, qu’elle a écrit et co-réalisé avec Coralie Trinh Thi. J’avais moyennement aimé, voire pas du tout apprécié. A l’époque, je n’y avais rien compris. Je m’attendais à voir de la pornographie de filles alors qu’il s’agit d’un film sur le viol réalisé par des femmes. Qui de mieux placé que des femmes pour parler de ce que vivent les femmes? Comment se fait-il que jusqu’à présent, ceux qui en parlent le plus sont également ceux qui en savent le moins? Les hommes, que peuvent-ils bien connaître de ce que ressentent et vivent les femmes?

 « […] en me les présentant sous un jour enfantin, plus fragiles, vulnérables, l’expérience m’a rendu les hommes sympathiques, moins impressionnants, plus attachants. Et accessible, finalement. […] ça a diminué mon agressivité à leur endroit, qui, contrairement à ce qu’on croit, n’est pas très élevée. Ce qu’on veut m’empêcher d’être ou de faire me rend furieuse, pas ce qu’ils sont ou font.»

Je m’interroge sur ce qui vaut à Virginie Despentes d’être la proie de tant de critiques et de controverses. Certes, elle a décidé de «l’ouvrir» et ses mots sont parfois très crus. Mais peut-on le lui reprocher? Ses textes auraient-ils suscité tant de polémiques s’ils avaient été écrits par un homme tel que Beigbeder ou Houellebecq? En outre, c’est tout le système politique en place que la romancière dénonce, celui dans lequel l’Etat domine l’homme. Qui, à son tour, domine la femme. Et ce dans le but de produire de «bons consommateurs insécures». Car il faut bien qu’il y ait des gagnants à ce grand jeu de la soumission, qu’elle soit de genre, sociale ou raciale. J’ai entendu de nombreux discours dans lesquels on reprochait à Virginie Despente la violence de ses propos.

Cela me semble dérisoire en comparaison de la violence des faits qu’elle dénonce. Par ailleurs, si vous vous retrouviez enfermé depuis des années dans une pièce glauque et oppressante dont l’unique porte d’entrée et de sortie refusait de s’ouvrir, ne tenteriez-vous pas, vous aussi, de toutes vos forces de la défoncer afin d’accéder à la liberté?

Les thèmes sont multiples et vastes de même que passionnants. Je pourrais écrire toute la nuit que je n’aurais pas épuisé la totalité des sujets à développer. Aussi, je me contenterais de vivement vous conseiller de lire ou relire cet essai, que ce soit pour conforter une position ou briser vos idées reçues concernant Virginie Despentes, le féminisme ou King Kong, car, après tout, «Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres.».

Ecrire à l’auteure: amelie.wauthier@leregardlibre.com

Crédit photo: © Amélie Wauthier

Virginie Despentes
King Kong Théorie
Editions Grasset
2006
162 pages

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