Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: Le coronarire avec Louis de Funès – Loris S. Musumeci
L’été, le soleil, la plage, les vacances, le rythme, la danse, la fête, les balades, l’amour, les jolies filles, les beaux garçons… et les gendarmes. Mais pas de quoi se faire trop de soucis. La gendarmerie de Saint-Tropez se fond dans le décor. En promenade, en terrasse, salutations cordiales, nul besoin de contraventions. La joie règne dans la station balnéaire, et ses agents de sécurité n’en sont que plus débonnaires. C’est le sud et son esprit qui se chargent de l’ordre.
Sauf que la mentalité légère et relax du sud ne parle pas vraiment au maréchal des logis-chef Cruchot. A peine promu, il est muté à Saint-Tropez. Et se fait remarquer dès son arrivée à coup de cris, de crises, de garde-à-vous à tout-va et d’amendes à gogo. Ses subalternes tremblent déjà, mais son supérieur, l’adjudant Gerber, le remet à l’ordre. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Il faut mettre la main sur un groupe de nudistes qui profitent clandestinement d’une plage de la station.
«Le gendarme c’est l’ordre, et l’ordre c’est toujours impopulaire.»
Alors que son père est occupé dans sa mission, Nicole cherche à se faire des amis. Elle a suivi son père dans le déplacement. Mais la jeunesse tropézienne se moque d’elle à cause de ses habitudes de jeune fille de village. Pour se rendre intéressante, elle laisse au placard les vieilles tenues de fille sage et ment à ses nouveaux amis sur toute la ligne. Elle raconte qu’elle est la fille du propriétaire du plus gros yacht au port. Elle s’éclate, les garçons lui tournent autour, elle danse le twist avec ses copines. Tous ces mensonges menacent de refaire surface; les manigances s’enchaînent, jusqu’à mettre le petit gendarme autoritaire, moraliste et ambitieux dans le pétrin.
La première fois
Un scénario des plus classiques, ou des moins travaillés, c’est selon. Ce qui n’a pas empêché au film de remporter un grand succès auprès d’un public enthousiaste. Il y a des raisons bel et bien réelles et concrètes au succès. On serait tenté de croire que c’est la présence de Louis de Funès qui a attiré les gens dans les salles. Pas tout à fait. On est en 1964, et l’acteur, déjà apprécié, n’est pas au sommet. A tel point qu’il y a un avant et un après Le Gendarme de Saint-Tropez pour de Funès. C’est la première fois qu’il assume pleinement son personnage de petit nerveux grimaçant et sévère. C’est la première fois qu’il connaît l’ovation, même s’il ne gravira que l’année d’après son échelon décisif grâce à Bourvil et au réalisateur Gérard Oury.
Néanmoins, de Funès doit déjà beaucoup à Jean Girault. C’est la deuxième fois que ce réalisateur, encore jeune, collabore avec de Funès. Mais c’est la première fois qu’il lui laisse une liberté quasi totale dans son jeu. Il l’encourage même à écouter son instinct de comédien; il le pousse à se dépasser, à en faire trop. Demande, exécution! Garde à vous! Louis de Funès suit les ordres, et il en fait trop. A ce moment-là, déguisé en gendarme, Louis de Funès devient vraiment Louis de Funès. A savoir un clown – en uniforme et avec le képi pour cette fois, mais ça changera –, usant et abusant de son pouvoir – au nom de la loi pour cette fois, mais ça changera aussi.
La gendarmerie
Le Gendarme de Saint-Tropez peut cependant compter sur d’autres atouts: le reste de l’équipe des gendarmes, dont l’adjudant interprété par l’excellent Michel Galabru. C’est toutefois dans leur interaction avec Cruchot qu’ils réussissent pleinement leur rôle. Puis il y a non pas seulement les gendarmes, mais la gendarmerie. J’oserais presque dire: la louable et vénérable gendarmerie nationale. On sait son importance en France. On sait ce qu’elle incarne: l’ordre au service de la République et de la vie des Français. Mais les blagues sur les gendarmes ne manquent pas au registre. Dans ce qu’elle a de populaire et de local, elle a aussi son côté burlesque.
Le gendarme finit toujours par ressembler à la population du lieu dans lequel il est muté, tout en gardant ses réflexes régionalistes. C’est ce qui fait le charme d’un gendarme corse à Paris, comme d’un carabiniere tyrolien en Sicile. Et puis, il y a tout type de gendarmes entre la négligence et l’excès de zèle. Le Gendarme de Saint-Tropez joue justement avec ces éléments: les différences de mentalités sur le territoire français, le contraste entre le gendarme qui passe ses journées verre à la main et celui qui passe ses journées carnet de contraventions à la main. Sans oublier qu’on touche à un emblème avec la gendarmerie. Donc, ça parle à tout le monde. De plus, on touche à l’emblème sans le salir; ce qui plaît encore plus aux Français des années soixante. On dit souvent qu’on n’imite vraiment bien seulement les personnes qu’on respecte. C’est le cas de de Funès en gendarme.
Douliou-Douliou
Enfin, il faut rendre à César ce qui est à César. Le peuple attend des rires, certes, mais aussi de quoi se rincer l’œil, s’amuser et s’évader. Et il ne se rince pas l’œil avec de Funès, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais avec la fille du gendarme, Nicole (Geneviève Grad), c’est autre chose. La belle blonde un brin rebelle fait rêver. Surtout quand elle danse en tenue courte – selon les critères de l’époque bien sûr. Elle n’est pas seule; la jeunesse du film est belle et insouciante. Un bon souffle d’air frais. Sur les plages de Saint-Trop’. Le rêve et l’évasion méridionale.
Et si on dansait? Sous les notes frénétiques et festives de Douliou-Douliou Saint-Tropez, entre les pas de twist et les trompettes. Voilà ce qu’on veut! Des rires, de la beauté et une bonne musique pour bouger un peu. La chanson est d’ailleurs née du film, et a été interprétée par Geneviève Grad elle-même. Le titre a connu un succès aussi important que le film, élançant les jeunes sur les pistes des bals populaires et des discothèques des années soixante. Alors, douliou Saint-Tropez avec moi?
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